BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain du samedi 20 septembre 1912

La visite du grand duc Nicolas

Liens les cartes de Nancy hier

Voir les cartes postales sur Nancy hier

Congé lundi après-midi

Qu'on pavoise la ville

Nancy, 19 septembre. — La visite, lundi prochain, du grand-duc Nicolas est naturellement le sujet général des conversations à Nancy.

On sait qu'il n'y est pas de spectacle plus couru qu'une revue dans le magnifique décor du plateau de Malzéville. Et, cette fois, la présence de l'oncle du tsar lui donnera un inoubliable caractère.

Bien entendu, nos concitoyens seraient heureux d'admirer nos belles troupes et d'acclamer le grand duc. Mais, pour un certain nombre, les obligations professionnelles forment un obstacle.

Il s'agit de les surmonter. C'est ainsi qu'un employé de banque nous écrit :

« J'ai recours à l'hospitalité des colonnes de votre estimable journal, dont je suis un assidu lecteur, pour vous transmettre une idée qu'un grand nombre, sinon tous les employés de banque s seraient heureux de voir réaliser.

Nous jouissons encore jusqu'à la fin de ce mois de notre liberté le samedi après-midi et pour une fois nous changerions volontiers ce jour de congé. Nous demandons de travailler samedi après midi, les banques seraient ouvertes au public et seraient fermées, comme la plupart des maisons de commerce le seront, lundi après midi. Aucun inconvénient ne se heurte à la réalisation de ce projet.

J'en appelle à la bienveillance de MM. les directeurs de banque qui liront ces lignes, afin que d'un commun accord ils accordent à leur personnel la joie d'aller acclamer le vaillant 20e corps et le représentant de la nation amie et alliée. »

Nous transmettons bien volontiers cette requête à qui de droit.

*

*   *

Nous avons trouvé également dans notre courrier la lettre suivante :

« La ville de Nancy, qui a été, si j'ose m'exprimer ainsi, le berceau de l'alliance franco-russe, se prépare à recevoir lundi et mardi le grand-duc Nicolas, qui, à sa qualité d'oncle de l'empereur de Russie, joint celle qui nous intéresse surtout nous autres Lorrains, de généralissime de l'armée russe en cas de guerre. L' « Est républicain » qui, dans toutes les occasions s'est dépensé sans compter pour dignement recevoir les hôtes de notre cité, ne pourrait-il demander à nos concitoyens de pavoiser leurs demeures à cette occasion. Je suis certain que la municipalité républicaine de Nancy fera le nécessaire pour tes édifices, mais la Fédération des commerçants ne pourrait-elle faire, comme elle le fit à diverses reprises, décorer les principales rues de la ville ? »

Ainsi s'exprime notre correspondant.

Voici l'excellente Fédération des commerçants touchée de sa requête. Quant aux particuliers, il est hors de doute qu'ils tiendront à arborer, eux aussi, à leurs de meures, les drapeaux français et russes.

Il faut que M. Millerand, ministre de la guerre, le grand-duc Nicolas et les éminents officiers généraux qui les accompagneront voient Nancy « en beauté » et qu'ils soient profondément touchés du spectacle de cette population civile vibrant d'un même cœur avec les vaillants régiments qu'elle a l'honneur de posséder.

Les Aviateurs à la Revue

Jeudi matin, au camp de Mailly, une escadrille d'aéroplanes reçut l'ordre de se rendre à Nancy.

Dès la première heure, les oiseaux prirent la voie des airs.

Près de Bar-le-Duc, par suite d'un vent violent, trois aviateurs durent atterrir dans les champs.

En atterrissant, les appareils ont été endommagés.

Un quatrième aviateur, le lieutenant Tassin, de l'infanterie coloniale, accompagné du sapeur Thouesny, après avoir fait escale à Toul, a atterri à l'aérodrome de Jarville à 8 heures du matin.

L'appareil, un biplan Farman, a été aussitôt remisé dans le hangar de l'Aéro-Club et gardé par un piquet du 37e régiment d'infanterie.

Le lieutenant Tassin est venu à Nancy pour participer à la revue qui sera donnée en l'honneur du grand-duc Nicolas sur le plateau de Malzéville.

Les trois aviateurs militaires qui ont atterri près de Bar-le-Duc se dirigeront sur Nancy aussitôt que leurs appareils seront réparés pour prendre part également à la revue.

L'illumination de la place Stanislas

Des ouvriers électriciens ont commencé jeudi matin la pose des guirlandes de lampes électriques servant à l'illumination de la place Stanislas, pour la retraite aux flambeaux qui aura lieu lundi soir, et à laquelle prendront part toutes les musiques de la garnison.


BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain du dimanche 21 septembre 1912

Le grand-duc Nicolas à Nancy

Nancy, 20 septembre. — Hier soir, lorsque la division est rentrée à Nancy, le capitaine russe Wladimir de Narbout, du 3e chasseurs finlandais, figurait à sa place habituelle dans les rangs du 79e, où, comme on le sait, il accomplit un stage.

Tandis que la grande tenue des officiers russes est somptueuse leur uniforme de campagne est des plus simples. Le capitaine de Narbout portait la casquette plate et la longue capote grise sans galons.

Le grand-duc Nicolas est apparu ainsi aux grandes manœuvres de l'Ouest sous des vêtements sévères, dictés par le principe de la moindre visibilité.

A la récente revue de Tsarkoié-Selo toutes les troupes étaient en « khaki » depuis les dragons jusqu'aux fantassins.

Et pourtant l'armée russe en grande tenue, forme un magnifique spectacle. Son régiment de Préobajensky porte la mitre haute et défile baïonnette au canon, en souvenir de son courage dans maints combats et ses cuirassiers comptent parmi les plus beaux du monde avec leurs casques surmontés de l'aigle êployé.

Mais la guerre moderne à ses nécessités. Aux jours peu lointains de la campagne de Mandchourie, c'était à qui des adversaires se verrait le moins avant la ruée pour l'étreinte finale.

Nous saluerons lundi prochain à Nancy un des grands chefs de cette guerre le général Kaulbars qui commandait plus de cent mille hommes à Moukden.

Les soixante-dix neuf ans du général Kaulbars ont conservé une exceptionnelle vigueur.

Rappelons qu'aux manœuvres de l'Ouest, après avoir fait plus de soixante kilomètres à cheval il accomplit encore un long raid en aéroplane.

Les généraux russes faisant partie de la suite du grand-duc Nicolas comptent tous plusieurs campagnes de guerre.

Quelques-uns ont débuté, comme le grand duc lui-même en luttant en 1877 contre les Turcs d'Osman pacha.

*

*   *

Mais à côté de tous ces hommes de guerre apparaît le sourire, de grâce et de bonté, d'une femme. La grande-duchesse Anastasie Nicolaievna sera accueillie dans notre ville, avec la plus respectueuse déférence.

Elle est née au Monténégro, la Montagne Noire, fier petit pays de vaillants soldats.

Protectrice de la Croix-Rouge, la grande-duchesse s'occupe beaucoup de cette belle œuvre.

Et Dieu sait si les grandes dames russes se montrèrent admirables en Mandchourie.

Dans les longs trains ramenant les blessés du champ de bataille vers les hôpitaux de concentration elles adoucirent bien des agonies et calmèrent bien des souffrances.

*

*   *

Maintenant, que Nancy se couvre du frissonnement des drapeaux, de la joie des couleurs de la nation française mêlées à celles de la nation « amie et alliée ».

Nous aurons lundi comme une journée d'apothéose, une de ces journées qui étreignent les cœurs et y laissent les longs souvenirs.

PIREYRE.

*

*   *

La réception de nos hôtes russes

L'administration municipale nous communique la note suivante :

« Mairie de Nancy

La discrétion que le grand-duc Nicolas de Russie et la grande-duchesse désirent observer lors de leur passage à Nancy ne saurait empêcher la population de leur témoigner son respect pour leurs personnes et son attachement pour leur nation, notre alliée.

Sans aller à l'encontre du désir exprimé par nos hôtes, il nous sied de pavoiser notre ville aux couleurs russes et françaises.

En l'honneur de nos visiteurs impériaux aucune maison de Nancy ne restera sans un pavoisement, qui, même sommaire, signifiera : Salut et Bienvenue. — 20 septembre 1912. »

*

*   *

Nous avons rendu visite, samedi matin, à M. le maire de la ville de Nancy. Il n'a pu que nous confirmer les termes mêmes de cette note :

— Le général en chef a été chargé par le ministre de la guerre, ajouta-t-il, du soin de préparer les réceptions et les fêtes qui revêtiront une physionomie et un caractère essentiellement militaires. Chacun s'inclinera devant le vœu de nos hôtes. Mais il est fort probable, toutefois, qu'une légère infraction sera commise.

— Laquelle ?

— Tout dépend du programme de la journée de mardi prochain. La grande-duchesse accompagnera-t-elle le grand-duc de Russie dans les visites des forts que celui-ci à l' intention de faire avec M. Millerand, le général Joffre et le général Gœtschy ? Ou séjournera-t-elle à Nancy pendant cette tournée d'inspection ? Dans ce dernier- cas, notre illustre invitée se rendrait au musée et à la maison Gallé. Nous profiterions alors de sa présence à l'hôtel de ville pour lui souhaiter la bienvenue et lui exprimer officiellement les sentiments dont la ville lui aura offert le témoignage pendant les manifestations populaires auxquelles nos hôtes se soustrairont avec peine.

Vase Gallé offert à la grande-duchesseUne des plus belles œuvres du maître verrier Émile Gallé serait offerte à la grande-duchesse. Il s'agit d'un vase, de forme ovale, décoré par le célèbre artiste et représentant des algues, des plantes, toute une végétation aquatique. Cinq épaisseurs de verre permettent de donner à l'extérieur un relief très pur, tandis que le fond a le flou, l'indécision des objets aperçus à travers une nappe liquide et qui, par transparence, acquièrent de la force et de la vie.

Mme veuve Galllé a consenti à se séparer de cette pièce, une des plus jolies de la collection du maître lorrain, une de celles où s'affirme avec un incomparable éclat la grâce exquise de son talent.

Le vase sera placé dans un écrin spécialement préparé à cet effet par une des principales maroquineries de notre ville :

— Tels sont les projets que nous avons faits ; mais comment se réaliseront-ils ? C'est là, déclare M. le maire de Nancy, une question fort embarrassante... Annoncez toutefois que le personnel de la mairie, de la bibliothèque, aura congé pendant l'après-midi de lundi ; je souhaite sincèrement que notre exemple soit suivi dans le commerce et dans l'industrie de notre ville...

Avec une pointe de malice souriante, M. Laurent, conclut :

— Je crois, malgré les pressantes recommandations de ma note, que la population s'empressera de manifester et qu'elle ne nous demandera point conseil pour crier à pleins poumons : Vive la Russie !»

Mais, encore une fois, respectueux du désir formulé par nos hôtes, M. le maire s'abstient de publier et d'afficher aucun de ces « appels » qu'en de pareilles circonstances on lit presque toujours sur tous les murs et dans tous les journaux.

Au Grand-Hôtel

Le train spécial qui amènera à Nancy les membres de la famille impériale de Russie arrivera vers une heure après-midi. Les voyageurs auront déjeuné. Ils descendront immédiatement au Grand-Hôtel d'où ils repartiront presque aussitôt pour aller sur le terrain de la revue.

Les appartements retenus au Grand-Hôtel pour les Altesses impériales de Russie occupent presque entièrement le premier étage.

Ils se composent d'un vaste salon séparant les chambres à coucher. Qui ne connaît le salon ? Il a servi aux galas, aux présentations ; mais il garde un cachet d'agréable intimité que ne parviennent point à troubler les portraits d'Édouard VII et de la reine d'Angleterre dans leurs cadres d'or!

Tendu de satin jaune paille, encombré de larges fauteuils aux styles divers, orné de tableaux où un pinceau poétique s'appliqua délicatement à des idylles dans le goût de Boucher, de Watteau, de Lancret, le salon reçoit la lumière de trois larges fenêtres aux rideaux de fines dentelles.

A gauche, sur l'angle de la rue d'Alliance, la chambre bleue, avec son mobilier acajou de Majorelle, avec sa vaste cheminée de marbre pyrénéen que décore un motif de sport, se rehausse encore de marines, de scènes rustiques portant la signature d'Henri Rivière, soit un village mélancoliquement blotti dans les vapeurs d'un crépuscule d'automne, soit un départ de pêcheurs.

Ici, une armoire anglaise, là une coiffeuse, une table de toilette en opaline, des vases au long col de Daum où se fanent des roses... artificielles qui demain seront remplacées par des fleurs de Nice au parfum très doux, puis des fauteuils comme abandonnés après une causerie qui ont l'air, comme dirait une Précieuse de se tendre encore les bras.

C'est dans cette chambre que reposera le grand-duc Nicolas.

A droite du salon, se trouve la chambre réservée à la grande-duchesse, même style, avec un guéridon rond, un léger secrétaire, où le luxe a su multiplier partout Je confortable.

Des ouvriers sont en train d'asphalter les trottoirs, devant la porte du Grand-Hôtel.

Nous croyons savoir qu'aucune guérite ne sera placée. La vigilance de deux sentinelles s'exercera seulement à l'intérieur — toujours pour se conforner au désir des Altesses impériales qui voudraient entourer leur voyage à Nancy de la plus grande discrétion.

La façade de l'édifice, ainsi d'ailleurs que les monuments de la place Stanislas, sera pavoisée d'écussons et de trophées aux couleurs russes et françaises ; deux larges drapeaux, en outre, orneront l'entrée du Grand-Hôtel.

Pour la Revue

Les dispositions précédemment prises pour la revue, le défilé et la charge diffèrent de celtes que déterminera, pour lundi prochain, le général en chef. A proximité du signal, une tribune officielle est en cours de construction ; elle est destinée à recevoir une trentaine d'invités. Les sapeurs du génie, occupés au travail, l'auront terminée samedi soir et pourront livrer cette tribune aux tapissiers qui sont chargés de la décoration.

Les troupes défileront dans la direction du Nord au Sud et, pour la charge, feront simplement demi-tour ; au lieu de se porter, comme elles avalent coutume de faire, jusqu'alors, vers les baraquements militaires et la Gueule-du-Loup.

Le général Gœtschy s'est efforcé, dans la conception de son plan, d'offrir aux curieux qui escaladeront le plateau, un spectacle militaire de toute beauté.

Une centaine de coupe-files, tout au plus, seront distribués par l'autorité militaire ; mais un officier nous a assurés que point n'est besoin de coupe-files pour voir très bien tout, ce qui se passera sur le plateau de Malzéville.

En l'absence de M. Hubert, chef de musique du 26e de ligne, c'est M. Sablon, du 69e d'infanterie qui dirigera lundi soir l'exécution des morceaux d'ensemble par les musiques et fanfares de la garnison, dans l'hémicycle de la Carrière.

Quels pavillons arborer ?

Les drapeaux nationaux de Russie sont au nombre de trois : 1° Le pavillon impérial avec l'aigle à double tête dans le milieu ; 2° le drapeau de guerre blanc traversé de deux diagonales bleues ; 3° le pavillon du commerce avec les couleurs rouge, bleue et blanche superposées dans le sens horizontal.

C'est ce dernier qu'il faut arborer.

On se souvient que, lors de la visite des marins russes à Toulon et Paris, une polémique s'éleva dans les journaux au sujet du protocole à observer, en ce qui concerne le pavoisement à l'aide des couleurs russes.

II fut décidé que le pavillon orné de l'aigle ne devait être arboré qu'en l'honneur du tzar même, comme on le fit en 1895 et en 1907 lors des voyages en France de Nicolas II

C'est donc le pavillon à bandes tricolores qui doit flotter partout sur le passage des membres de la famille impériale.

En ce qui concerne les acclamations, le protocole, fort heureusement, ne précise rien, ce qui revient à dire que, pendant deux jours, les Lorrains sont libres d'associer dans leurs manifestations les noms de leurs augustes hôtes avec les hourras pour le tzar et pour les armées des nations alliées.

ACHILLE LIEGEOIS.

Appel de la Fédération des Commerçants de Nancy

Nancy, 20 septembre. — Les présidents de la Fédération des commerçants de Nancy et de l'Union des syndicats de l'alimentation invitent leurs adhérents à pavoiser à l'occasion de la visite à Nancy du grand-duc Nicolas de Russie, accompagné du ministre de la guerre.

Ils engagent également les commerçants à donner congé à leurs employés lundi après-midi, pour leur permettre d'assister à la revue du 20e corps d'armée.

L. PIGNOT, J. WALTER.

*

*   *

Les bureaux de la mairie seront fermés le lundi 23 septembre, à partir de midi.

La retraite aux flambeaux

Par arrêté municipal, la circulation des chevaux et de tous les véhicules sera interdite le lundi 23 septembre 1912 :

1° Sur l'hémicycle de la Carrière et sur la place de la Carrière, à partir de 8 heures du soir.

2° Sur la place Stanislas et dans les rues adjacentes, à partir de 8 heures 3/4 du. soir.

Cette interdiction durera jusqu'à la fin de la retraite aux flambeaux.

La visite à Toul

Toul, 20 septembre. — Comme nous l'avons annoncé le grand-duc Nicolas ira à Toul le mardi 24 septembre.

Parti de Nancy, par train spécial, il en descendra à Pont-Saint-Vincent, à dix heures. Il visitera les forts de Pont-Saint-Vincent et de Villey-le-Sec, puis il se rendra à Toul où il déjeunera au cercle militaire. Les membres de la mission russe seront au nombre de 21. Le déjeuner sera servi par la compagnie des Wagons-lits.

L'après-midi, le grand-duc se rendra aux forts d'Écrouves, à celui de Lucey où des tirs réels au canon auront lieu en sa présence, Bruley, La Cloche, Francheville, Villey-Saint-Étienne, etc.

La grande-duchesse descendra à Toul le même jour, un train spécial arrivant à cinq heures et demie.

Elle visitera l'hôtel de ville, divers monuments et repartira par le même train spécial à six heures.

*

*   *

La grande-duchesse Anastasie n'arriverait donc qu'assez tard à Toul dans l'après-midi de mardi. Dans ces conditions, les visites au musée et à la maison Gallé, visites dont parle M. le maire dans son interview, auront très probablement lieu.


BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain du dimanche 22 septembre 1912

Le Grand-duc Nicolas de Russie et la Grande-duchesse à Nancy

Salon des appartements du grand-duc au Grand-Hôtel

Au Grand-Hôtel. — Le salon où auront lieu les réceptions.

Nous publions les clichés représentant en partie les appartements que nos augustes visiteurs occuperont lundi prochain, au premier étage du Grand-Hôtel.

Le programme des Fêtes

Il est joliment difficile d'obtenir sur la préparation des fêtes franco-russes à Nancy les éclaircissements que le public nous demande de toute part.

Dans les milieux les plus divers où jaillissent ordinairement les sources qu'on prétend bien informées, nous entendons répéter ces seuls mots :

— On ne sait rien !

Les membres de la famille impériale se rendront-ils directement de la gare au plateau de Malzéville ou feront-ils au Grand-Hôtel une courte halte ?

On n'en sait rien.

Le chemin stratégique qui mène au terrain de la revue sera-t-il accessible ?

On n'en sait rien.

Que se passera-t-il, lundi, entre cinq heures et sept heures du soir ? Une lacune existe dans le programme et chacun cherche à surprendre l'emploi de ces deux heures ? Le grand-duc se reposera-t-il en ses appartements ou visitera-t-il Nancy ?

On n'en sait rien.

Le public, de la place qui lui sera laissée aux abords des baraquements militaires de l'allée dite des Pommiers, verra-t-il parfaitement défilés et charges ?

On n'en sait rien.

Des toasts, pendant le dîner, au Palais du Gouvernement, seront-ils prononcés ?

On n'en sait rien.

La division de cavalerie indépendante de Lunéville, dont on annonce sous réserves les cantonnements dans la banlieue nancéienne, sera-t-e!le de la fête ?

On n'en sait rien.

La division d'acier viendra-t-elle de Toul à Malzéville ?

On n'en sait rien.

Avant qu'une note de la préfecture fut communiquée ce matin à la presse, on ignorait quels drapeaux il convenait d'arborer pour le pavoisement et c'est en vain que nous avons cherché sur les édifices et les monuments publics, un seul drapeau russe parmi les trophées dont les façades et les balcons sont déjà décorés.

On ne sait rien....

On connut assez tard dans la soirée de samedi les itinéraires des retraites aux flambeaux dont nous parlons plus loin.

Les curiosités, les impatiences s'énervent et nos voisins d'Alsace-Lorraine voudraient être fixés sur le programme avant de prendre le train pour Nancy.

On ne sait rien.

Mais les notes vont se succéder à de brefs intervalles, nous a-t-on promis — de telle sorte que, pour lundi matin, aucune question ne restera sans réponse concernant le protocole, l'emplacement et la marche des troupes, les barrages du service d'ordre, le départ du cortège officiel, les visites et réceptions...

Nous publions ce matin un plan du plateau de Malzéville ; nous « donnerons » dans notre prochaine édition le plan de l'hémicycle de la Carrière et de la place Stanislas.

Sachons nous contenter de ces modestes renseignements.

Les chaussées latérales de la Carrière, ainsi que les contre-allées du terre-plein seront seules livrées aux curieux ; les quatre musiques, après le concert, se sépareront et, pour aller sur la place Stanislas, quitteront l'hémicycle dans l'ordre suivant : une musique par la terrasse de la Pépinière, une autre par la rue Ville-Vieille, celles des deux derniers régiments par l'allée centrale du terre-plein de la Carrière.

En ce qui concerne les fêtes, les promenades, les sorties, les visites des musées, l'inspection des forts, elles ne sont point réglées encore d'une manière définitive et aux points d'interrogation que le public nous pose, force nous est de répéter à notre tour ces mots entendus si souvent à la mairie, à la préfecture, à la place, à l'état-major :

Parole d'honneur, je crois que si l'on interviewait à brûle-pourpoint M. Millerand lui-même sur les fêtes de Nancy, le ministre de la guerre tomberait des nues et qu'il balbutierait, de stupéfaction :

— Comment ! vous recevez un grand-duc de Russie ? Merci pour cette bonne nouvelle... Moi, je n'en savais rien ! »

— « On ne sait rien ! »

Attendons.

ACHILLE LIÉGEOIS.

On pavoise...

Le pavoisement de Nancy, en l'honneur de la visite du grand-duc Nicolas, a commencé samedi.

La place Stanislas présente déjà un air de fête.

D'autre part, M. Bondieu, l'honorable maire de Malzéville, dont on connaît les sentiments patriotiques et l'affection pour l'année, aurait invité les habitants de cette localité qui sera traversée par les troupes à orner leurs demeures. Nul doute que cet appel ne soit entendu.

Chambre du grand-duc au Grand-Hôtel

Au Grand-Hôtel. — La chambre à coucher réservée au grand-duc Nicolas de Russie.

Toutes les banques de Nancy ont décidé de fermer lundi après-midi.

*

*   *

Le comité des « Amis de Jeanne d'Arc » a l'honneur de faire, connaître aux habitants des rues d'Amerval et de la Pépinière, qui ont l'intention de pavoiser, à l'occasion de la visite du grand-duc Nicolas, cousin de l'empereur de Russie, qu'il met gracieusement à leur disposition un certain nombre de drapeaux.

S'adresser, lundi 23, à partir de 7 heures du matin, à M. Caupain, secrétaire, siège de I' « Amicale 80 », 24 bis, rue de la Pépinière.

Le menu du dîner au Palais du Gouvernement

Voici le menu du dîner qui sera servi par les soins de la maison Walter, lundi soir, au Palais du Gouvernement :

Crème à la Bisque

Truite des Vosges sauce Mousseline

Selle de Chevreuil Grand-Veneur

Suprême de Chapons Diplomate

Granité au Vin de Chypre

Perdreaux Truffés Flanqués de Cailles

Cœurs d'Artichauts à la Ducale

Parfait de l'oie Gras Strasbourgeoise

Charlotte Glacée Lecczinska

Corbeille de Fruits à la Reine. Friandises

VINS

Pagny 1911 en Carafon

Moselle 1898

Château-Latour 1875

Chambertin 1904

Montebello

Itinéraires des musique et fanfares

1. Fanfares : place Saint-Epvre, rue Lafayette, rues d'Amerval, Stanislas.

2. 26e d'infanterie : porte et terrasse de la Pépinière.

3. 79e d'infanterie : porte Saint-Epvre, Grande-Rue, passage de l'ancien théâtre.

4. 37e et 69e d'infanterie : place de la Carrière, rue Héré.

37e, côtés ouest et sud de la place Stanislas.

69e côtés nord et est de la place Stanislas.

*

*   *

Voici l'itinéraire que les différentes musiques et fanfares suivront après le concert place Stanislas, vers 9 heures 30 :

Fanfares : rues Gambette, Saint-Dizier, du Montet, avenue de la Garenne, dislocation, quartier.

37e d'infanterie : rues Stanislas, du Faubourg-Stanislas, place de la Commanderie, rues de Villers, Blandan, quartier.

79e : rues des Dominicains, Saint-Jean, du Faubourg-Saint-Jean, Jeanne-d'Arc, avenue de la Garenne, rue Blandan, quartier.

26e : rues Gambetta, d'Amerval, Lafayette, Grande-Rue, rues Braconnot, Sigisbert-Adam, boulevard de la Pépinière, quartier.

69e : rues d'Alliance, Godron, Sainte-Catherine, quartier.

Le drapeau national russe

La préfecture nous communique :

« Diverses personnes se sont. adressées à la préfecture pour se renseigner au sujet de la composition officielle du drapeau national russe, qu'il ne faut pas confondre avec le pavillon impérial arboré dans les voyages antérieurs du tsar lui-même en France.

D'après les renseignements fournis par le service du protocole, le drapeau national russe est composé do trois bandes transversales perpendiculaires à la hampe dans l'ordre suivant : blanc, jaune et noir.

Cette composition actuelle du drapeau a fait l'objet d'une décision impériale remontant à quelques mois seulement. »

Le cheval du grand-duc

On a dit partout que le grand-duc Nicolas, à Saint-Jean-de-Sauves, était tombé de cheval. Ce n'est pas tout à fait exact, car c'est plutôt le cheval qui est tombé sous le grand-duc.

Comme on avait besoin d'un animal de taille exceptionnelle, on avait acheté la bête chez M. Thomassin, éleveur, près de Montmorillon, qui avait chez lui le plus grand cheval connu dans la région.

Devant sa monture, le généralissime russe ne put dissimuler une grimace, mais le grand-duc commence à s'habituer à notre simplicité démocratique ; bravement, il enfourcha l'animal. Ployant sous le faix, les reins cassés, le cheval fit quelques pas en fléchissant et quinze mètres plus loin s'abattit sur les genoux.

Sa perte ne fera pas d'ailleurs un trou dans le budget des manœuvres. L'éleveur l'avait estimé vingt-cinq pistoles, mais l'intendance, en marchandant, avait eu le cheval du grand-duc pour « deux cent trente » francs.


BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain du lundi 23 septembre 1912

La Fête militaire de Lundi

Plan de la revue au plateau de Malzéville

Plan de la Revue

On remarquera que certaines dispositions prises pour le défilé et la charge diffèrent de celles qui étaient jusqu'à présent adoptées. Les troupes se dirigeront vers la tribune officielle, près du signal ; puis, s'étant déployées pour la charge finale elles reviendront, en masses compactes, vers leur point de départ, face au public qui pourra jouir parfaitement de ce spectacle militaire.

*

*  *

Nancy, 22 septembre. — Tout fait prévoir que la manifestation militaire de demain, au plateau de Malzéville, sera magnifique. Il fait un temps superbe, avec un gai soleil.

Déjà de nombreux étrangers circulent en ville, parmi lesquels, naturellement, quantité d'annexés.

Les troupes qui seront à la revue

Enfin, on connaît exactement les troupes qui figureront à la revue. La division 39e division de Toul ne viendra pas.

Prendront part à la « prise d'armes qui sera suivie d'un défilé et charge » suivant l'expression même de l'autorité militaire.

21e brigade d'infanterie ; 22e brigade d'infanterie ; compagnies cyclistes des 2e et 4e chasseurs ; 4e chasseurs ; 8e d'artillerie ; 20e brigade de cavalerie ; 2e division de cavalerie.

Emplacement des musiques devant le Palais du Gouvernement

Les Musiques devant le Palais du Gouvernement

Avis important

Les personnes mêmes munies d'un coupe-file de la place ne pourront pas gagner le plateau par la voie stratégique et la Gueule du Loup après 1 heure 45 et par la Ferme Sainte-Geneviève après 1 heure.

Disposition des musiques place Stanislas

Les Musiques place Stanislas

La situation des officiers russes

Dimanche 22 septembre. — Nous allons donc avoir demain à Nancy une mission militaire russe très importante, composée d'officiers à tous les degrés de la hiérarchie depuis le grand-duc Nicolas, généralissime en temps de guerre.

Il nous a paru intéressant de rechercher quelle est la situation des officiers qui seront demain nos hôtes, par quel chemin ils sont parvenus au grade qu'ils occupent actuellement.

Les écoles

Les officiers russes ont passé, soit par l'école des pages de Saint-Pétersbourg, soit par des écoles de cadets. Ce sont des écoles préparatoires. Ils ont ensuite suivi les cours d'écoles militaires proprement dites où la durée des études est de deux ans.

Ces écoles sont assez nombreuses ; elles sont disséminées par tout l'empire. Il en existe à Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Kazan, à Tver.

L'avancement

En ce qui concerne l'avancement il a lieu, pour les grades inférieurs, à époques fixes, automatiquement, dès que l'officier a quatre ans d'ancienneté dans son grade. les capitaines en premier sont promus, au titre des vacances, moitié au choix (maximum de 4 ans de grade), moitié à l'ancienneté (avec minimum de 6 ans), sauf 5 pour cent au choix hors tour (minimum 3 ans). Tous les autres grades aux choix et au choix hors tour.

Les autorités hiérarchiques délivrent des « attestations » d'aptitude. Des commissions de division, di corps d'armée, ou de circonscription, selon les cas, se prononcent sur le classement.

Les limites d'âge

La limite d'âge diffère un peu de celle de nos officiers. Tandis que le capitaine français est en retraite à 53 ans, l'officier subalterne russe va jusqu'à 55.

Mais la limite d'âge est la même qu'en France pour les lieutenants-colonels et colonels : 58 et 60 ans.

Un général-major (gênerai de brigade) va jusqu'à 63 ans, et un général-lieutenant (général de division) jusqu'à 67.

Cependant, cette limite est diminuée pour le maintien dans certaines fonctions.

Exemple : un colonel ne commande pas un régiment de cavalerie après l'âge de 56 ans ; un régiment d'infanterie après 58 ans.

En outre, il existe une limite d'âge pour les désignations à chaque fonction. Exemple : Un général-lieutenant ne peut être désigné pour le commandement d'une division de cavalerie après 58 ans, Il ne peut conserver ce commandement au-delà de 61 ans.

Les membres de la mission

Les officiers généraux russes sont relativement jeunes. Voyons ceux de la mission.

Le général-lieutenant Rauch, commandant la 2e division de la garde a 52 ans ; le général-lieutenant de Brinken, chef d'état-major de la garde, 53.

Le général Manikowski n'a que 47 ans et le général Nostis, ancien attaché militaire à Paris, 50.

Le doyen de la mission est le général Kaulbars, qui est général de cavalerie (son arme d'origine), et commande un corps d'armée.

Il y a encore un grade au-dessus de celui du général Kaulbars : feldmaréchal.

Les appointements

Les appointements se composent de la solde proprement dite ; des frais de table, de l'indemnité de logement et de service et de certaines indemnités correspondant à des situations spéciales.

Un sous-lieutenant a 2,240 fr. par an et 96 roubles de frais de table, tandis qu'un commandant de corps d'armée en touche 7,700.

L'indemnité de logement est variable suivant les garnisons.

La tenue de campagne

Comme nous l'avons déjà indiqué, la tenue de campagne est uniforme pour toutes les armes (adoptée en mars 1909). Sang boutons de métal ni galons, tunique à taille assez large pour le port d'un gilet. Col droit, poches en dessous de la ceinture. Cinq boutons en cuir. Pantalon ou culotte de même couleur. Casquette du modèle 1907, recouverte de drap couleur défensive. Capote à col rabattu de 16 centimètres de large.


BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain du mardi 24 septembre 1912

Les fêtes militaires Franco-Russes

Nancy, 23 septembre. — Aujourd'hui, le temps s'est mis à l'unisson de la joie des cœurs et Nancy a réservé au grand-duc Nicolas le même accueil, de confiance profonde, qu'il avait fait, il y a vingt ans, à un autre proche parent du tsar, le grand-duc Constantin dont la visite dans notre ville marqua le premier jalon de la Grande Alliance.

…Le lundi 6 juin 1892 la dépêche suivante parvint à la préfecture de Meurthe-et-Moselle, où était descendu le président Carnot venu pour la fête fédérale de gymnastique :

« Le grand-duc Constantin, qui arrivera à Nancy par le train de trois heures trente deux, serait particulièrement heureux de présenter ses respects au Président de la République Française.

La nouvelle se répandit très rapidement dans Nancy. Les étudiants — qui se trouvaient au banquet universitaire au lycée — décidèrent de faire une manifestation spontanée.

Ils se portèrent en foule vers la gare et accueillirent le grand-duc par des cris répétés de : « Vive la Russie ».

Le grand-duc monta en voiture avec le colonel Chamoin, de la Présidence. Une foule immense, vibrant d'un même enthousiasme, était massée sur la place Thiers.

Les cris de : « Vive la Russie » partirent de mille bouches humaines.

Plusieurs étudiants placent un drapeau russe dans la voiture tandis qu'un drapeau français, portant les écussons de Metz et de Strasbourg, est agité au-dessus.

Le cortège descend la rue Saint-Jean jusqu'au Point-Central. Là, la manifestation prend des proportions, inconnues jusqu'à ce jour à Nancy. On acclame, avec frénésie, l'envoyé du tsar. L'hymne russe, sévère et religieux, s'envole soudain accompagné par des musiques qui ont surgi comme par enchantement A 4 h. 30, le président Carnot revient de la Pépinière.

Il entre à la Préfecture et pénètre dans un salon où se trouvent le grand-duc et le général Brugère.

M. le général Brugère n'est resté que quelques minutes. M. Carnot s'est ensuite entretenu un quart-d'heure environ avec le grand-duc.

Celui-ci est reparti à cinq heures pour Contrexéville salué par les mêmes acclamations qu'à l'arrivée.

*

*   *

Le grand-duc Constantin était le quatrième enfant du grand amiral de la marine russe. Cousin-germain du tsar, frère de la reine Olga de Grèce. C'était, en 1892, un jeune homme d'une trentaine d'années, de taille élégante, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, s'exprimant en français avec cette légère pointe d'accent qui donne à la parole d'un Russe une saveur particulière.

Sa visite à Nancy eut un retentissement mondial et, si le lendemain Alexandre III allait rendre visite à Guillaume II, il le faisait à Kiel et non à Berlin afin d'enlever tout caractère politique à son entrevue.

En 1892 l'alliance franco-russe était loin d'être fixée dans tous ses détails mais chacun savait déjà qu'en cas de conflit franco-allemand la Russie marcherait au secours de la France.

L'incident de Nancy fut le renouvellement des promesses de Cronstadt. Dès lors il n'y eut plus en Europe que deux politiques : celle de la Triplice et celle Franco-Russe.

*

*   *

Parmi les personnages officiels et les Nancéiens qui furent les témoins de la visite du gand-duc, que de disparus !

Le président Carnot devait périr quelques mois plus tard de la plus tragique des morts.

Morts aussi MM. Stéhelin, préfet, Maringer, maire, Voland, sénateur, Sadoul, premier président, Bichat, vice-président du conseil général, Teutsch, trésorier payeur-général, les généraux Hanrion, Boitard, les colonels Goulon, Michon et que d'autres encore !

*

*   *

Mais les individualités sont bien peu de chose dans l'histoire et l'effort de quelques générations disparait vite dans la masse des faits.

Cependant le symbole de l'homme, passant à un autre homme, le flambeau de la tradition est éternellement vrai.

Les Nancéiens de 1912 comme ceux de 1892 ont la claire notion des grands intérêts de la patrie.

Tous ont salué dans le grand-duc Nicolas la loyale alliance — augmentée de la solide amitié de l'Angleterre — et apparue aujourd'hui à son couronnement, sous un beau soleil de gloire dorant notre armée, jeunesse de la nation !

LÉON PIREYRE.

Le grand-duc Nicolas et la grande duchesse Anastasie

Le grand-duc Nicolas et la grande duchesse Anastasie.

L'arrivée

Alors que la grande masse de nos concitoyens se dirigent, en flots pressés, vers le plateau de Malzéville, une foule, encore considérable, se massa, dès midi et demi, aux abords de la place Thiers pour assister à l'arrivée des Altesses impériales russes et de la mission militaire.

Dans la cour de la Gare, le 5e hussards avec étendard, est rangé en ordre de bataille.

Dans l'intérieur un service, d'ordre est organisé par M. Weiss, commissaire spécial.

Sur le quai, voici MM. le Préfet, M. le maire, les généraux Poline, Kaufmant, Lefèvre, Aubier, Beltramelli, le médecin-inspecteur Schneider, l'intendant Savoye, le colonel Curmer, commandant le génie du 20e corps, l'état-major du corps d'armée ; M. Nérot, inspecteur principal de la Compagnie de l'Est, etc., etc.

Il est une heure moins quelques minutes lorsque la gare de Champigneulles signale le passage du train qui arrive sans arrêt à Nancy, la voie étant complètement libre.

Le train s'arrête juste en face de la salle d'attente des premières.

Le grand-duc, la grande-duchesse, M. Millerand, M. le général Joffre, et leur suite, en descendent.

Les présentations

Les généraux français forment la haie et le général Gœstschy présente individuellement ses collaborateurs au grand-duc, qui leur serre la main.

Le grand-duc pénètre dans le salon d'honneur où il est reçu par M. le préfet et par M. Laurent, maire de Nancy.

Le cortège sort aussitôt.

M. Bonnet accompagne le grand-duc. M. Millerand donne le bras à la grande-duchesse.

A une heure précise, sous le magnifique soleil, les claires sonneries retentissent.

Le cortège débouche sur la place Thiers.

Le cortège

Bientôt des automobiles traversent la place saluées par des acclamations.

Dans la première se trouvent le grand-duc et la grande-duchesse, ayant en face d'eux le général Dor de Lastours.

Le grand-duc — tout souriant — répond aux vivats de la foule en faisant le salut militaire tandis que la grande-duchesse s'incline aimablement.

Voici d'ailleurs l'ordre du cortège :

Dans les automobiles, officiers russes et français sont fraternellement mêlés.

2° voiture : capitaine Wolff, capitaine Mayrand.

3° voiture : Mlle A. Pcterson, général Rostovzeff, lieut,-colonel Tillien, docteur Malama.

4° voiture ²;: général Kaulbars, colonel Hely d'Oissel, colonel prince Cantacuzène.

5° voiture : général de Kruzenstein, colonel Kniajewitsch, colonel de Laguiche, commandant Simon.

6° voiture : général de Brineken, colonel Matten, général Nostotz.

7° voiture : général prince Massaleky, général-lieutenant Rauch, lieutenant-colonel Weygand.

8° voiture : général Manckowsky, commandant Douchy, général Kruharsky, capitaine Werhlin.

Les mitrailleuses au plateau de Malzéville

Les mitrailleuses

9° voiture : M. Mallet

10° voiture : général Joffre, M. Laurent, maire de Nancy, capitaine Renouard.

11° voiture : généraux du 20e corps.

12° voiture : général Goetschy.

13° voiture : M. Millerand, ministre de la guerre, M. le préfet-, colonel Gramat, lieutenant Doumayron.

Il était naturel que la marque Peugeot, la grande triomphatrice de l'année, soit dignement représentée au cours de la visite du grand-duc et de la grande-duchesse à Nancy.

Aussi, est-ce sur voiture Peugeot que les personnalités civiles et militaires les plus en vue du cortège se sont transportées au plateau de Malzéville.

A remarquer les deux superbes limousines torpédos 22 HP aux lignes impeccables qui ont été prêtées aimablement au grand-duc et à la grande-duchesse par M. le marquis de Nittis, de Nancy, et M. Albert Tourtel, le grand industriel de Tantonville.

Au Grand-Hôtel

Par la rue Saint-Jean, le cortège gagne le Grand-Hôtel. Voici, outre le grand-duc et la grande-duchesse, la liste des personnages qui y sont descendus :

Mlle Peterson, S. E. le major Rostovzeff, M. le capitaine baron Wolf, M. le docteur Malama, M. le général baron Kaulbars, M. le général de Kruzenstern, M. le général baron de Brincken, M. le général prince Massalsky, M. le général Rauch, M. le général Manikowsky, M. le général comte Nostitz, M. le général Kouharsky.M.le colonel Kniajowitsch,M.le colonel-prince Cantacuzène, M. le colonel comte Ignatieff, M. le général de division Dor de Lastours, les colonels Hély d'Oissel, de La-Guiche et Matten, les lieutenants-colonels Weygand, Tellion, les chefs de bataillon Douchy, Simon, les capitaines Werhlin et Moirand.

Bientôt le cortège se reforme et se rend au plateau de Malzéville.

Le grand-duc a quitté le Grand-Hôtel à deux heures un quart; il est monté en automobile avec le général Dor de Lastours.

La grande-duchesse, en superbe robe de tulle brodée, est montée dans la seconde auto avec Mlle Peterson, pour se rendre également au plateau de Malzéville. — Ch. L.

Avant la revue

L'exode des curieux vers le plateau de Malzéville avait commencé de bonne heure. A 10 heures du matin, les tramways avaient déjà leurs plate formes bondées.

Et combien de milliers et de milliers de piétons, quelques-uns leur dernier-né, à califourchon sur le cou, beaucoup un filet de provisions en bandoulière, ont gravi entre 11 heures et 2 heures surtout, les chemins raides et les abruptes sentes sous-bois qui mènent de Nancy au plateau ?...

Dans notre grande ville, où pourtant les garages abondent, on ne pouvait plus, dès la veille, découvrir une automobile en location.

Quant aux fiacres et aux taxis, il eut fallu aujourd'hui les multiplier par mille pour contenter toute la clientèle...

Le soleil est splendide. C'est une vraie journée d'automne — la septième ou huitième à présent qui nous dédommagent un pou d'un été déplorable.

La bise était bien aigrelette et violente, mais qu'importe ! Elle tempérait tout simplement d'une touche un peu vive, les rayons du soleil, et rendait la marche moins pénible.

Sur la route du plateau, c'est une longue suite d'automobiles et il a fallu toute l'habileté de l'excellent pilote Chèvre, et toute la souplesse de sa rapide Peugeot, pour passer rapidement, sans le moindre accroc, dans un pareil encombrement.

Dans l'allée des Noyers, la foule est extrêmement dense. Des groupes de jeunes garçons apparaissent dans les branches. Ça et là quelques échelles doubles, une innovation... Un concert en plein vent, composé d'un trombone et d'une clarinette, joue des refrains à la mode. Les instruments sont tenus par deux braves femmes qui y vont avec entrain de leurs poumons et de leurs doigts.

A gauche de la ferme, le long de l'allée, on vend bière et victuailles ; et même des glaces, que la bise se charge de garder au frais. De temps en temps, une charge inoffensive repousse les groumes trop entreprenants.

M. Millerand, Ministre de la Guerre, salue le drapeau

M. MILLERAND, Ministre de la Guerre, salue le drapeau.

L'arrivée des troupes

Mais les musiques et les fanfares emplissent le plateau. Fantassins de la ligne ou vitriers de Saint-Nicolas, cavaliers de la 20e brigade ou chasseurs et dragons de la division de Lunéville, artilleurs ou cyclistes arrivent et vont prendre leurs places pour la revue.

La tribune officielle est assez loin du « Signal », presque à hauteur de la Ferme, qu'elle regarde, en plan légèrement oblique. Elle est fermée sur les deux flancs, et l'entrée est agrémentée d'une véritable sapinière. Aux deux angles, un abondant trophée de drapeaux.

A 1 h. 40, les régiments d'infanterie vont se masser, de la tribune officielle vers Agincourt et Dommartemont, le long du bois.

Les troupes défilent donc, non point face à Nancy, comme d'habitude, mais comme si, montant d'Agincourt, elles voulaient gagner le chemin stratégique.

A deux heures, une violente bousculade gagne une cinquantaine de mètres. Le service d'ordre doit en prendre son parti. On évitera du moins des accidents. On verra de plus près et le défilé ne sera pas davantage gêné.

Cette fois, l'on n'aura pas à déplorer un trop grand éloignement, qui ne permettait d'apercevoir que les pointes des baïonnettes. Le terrain choisi est très plat. Aucun malencontreux dos d'âne, comme du côté du Signal, ne masquera le moindre mouvement. On doit en saovir gré à ceux qui ont eu cette initiative.

La grande duchesse Anastasie quittant le Grand-Hôtel

La grande duchesse Anastasie quittant le Grand-Hôtel

La revue

A deux heures et demie, les automobile officielles-, précédées de hussards aux chevaux blancs, arrivent par la route de la Gueule-du-Loup et se dirigent vers la tribune. Le grand-duc est dans la 4e, la grande-duchesse prend place au milieu de la tribune.

La revue est rapidement passée, au galop des chevaux. Les musiques ne jouent pas.

Le grand-duc Nicolas quittant le Grand-Hôtel

Le grand-duc Nicolas quittant le Grand-Hôtel

Le défilé

A 2 heures 45, la 20e brigade de cavalerie, hussards en tête, dragons derrière, ouvre le défilé par une charge au galop.

Puis vient la 2e division de Lunéville, chasseurs en tête, suivis par les dragons.

Le fanion des lances est d'un effet merveilleux.

Les batteries volantes de Lunéville défilent avec leur division, dans la pétarade des mitrailleuses.

Il faut exactement 7 minutes aux cavaliers et aux batteries volantes pour passer. Le défilé de l'infanterie s'ouvre d'une façon remarquable par les chasseurs cyclistes des 2e et 4e bataillons. Les chevaux d'acier roulent aussi symétriquement alignés que si une même âme gouvernait leurs pédales.

Les chasseurs du 4e les suivent alertes, crânes, presque provoquant d'entrain. La « Sidi-Brahim » les entraîne. Ils recueillent de nombreux bravos.

— Pourquoi n'a-t-on pas fait venir plus de ces soldats ? interroge un brave annexée. Ils sont si beaux…

Eh ! oui, on ne se lasserait jamais de voir défiler les chasseurs…

Les roulements de tambours scandent un rythme moins accéléré. C'est la division de fer qui commence à défiler.

Ces hommes au teint hâlé par le séjour au camp et les dures étapes des manœuvres, ont un aspect splendide.

Ils mettent, dans leur marche, une sorte d'amour-propre. Ne passent-ils pas à cette heure devant le généralissime de France et devant le généralissime de la grande nation alliée !

26e et 69e, 37e et 79e, tous méritent des éloges pareils ; ceux qui les voyaient là pour la première fois emporteront un rude réconfort s'ils sont de France et subiront certainement d'inquiétantes réflexions, s'ils sont d'ailleurs.

Mais quel spectacle digne d'être changé en épopée, que cette division et demie de cavalier, chasseurs et hussards pimpants, dragons chevelus comme les légionnaires antiques et dont le vent agite le fanion des lances !

Ils passent dans un ordre parfait, et recueillent de chaleureux bravos.

Enfin, ce sont les artilleurs, aux redoutables pièces bleues traînées par des attelages robustes.

C'est fini… ou plutôt on attend avec impatience une suite…

La charge finale

Lorsque ce défilé a été terminé, les troupes se sont rapidement massées pour la charge finale.

Elle ne se fait pas attendre. Voici, trompettes sonnant, les enlevantes fanfares, les hussards et les dragons de la 20e brigade, suivis par la division de cavalerie de Lunéville et ses batteries volantes. Le grand-duc et les autorités avaient à ce moment quitté les tribunes, et s'étaient portés à gauche de la Ferme. La charge arrivait juste en face, pour s'arrêter net à 20 mètres des premiers rangs de la foule, qui coudoyait à ce moment pour ainsi dire les personnages officiels.

Mais la fête n'est pas encore finie. Toute l'infanterie de ligne de la division, soit les 4 régiments de Nancy et le 4e bataillon de chasseurs, musiques et fanfares groupées au centre, chargent en bataille, la baïonnette haute et vont s'arrêter brusquement à quelques mètres en arrière de la cavalerie, tandis que l'artillerie, qui apparaît sur la crête dans un galop effréné, s'arrête brusquement, mes ses pièces en batterie et tire une série de salves, qui sont comme le bouquet d'artifices de la fête.

Sur le plateau de Malzéville. — La foule acclame les régiments

Sur le plateau. — La foule acclame les régiments, après la charge finale, pendant que les musiques

exécutent le Boje Tzara Krani, l'hymne national russe.

Une chaleureuse manifestation

Il est près de quatre heures. Cette fois, l'apothéose militaire est terminée. Ou plutôt non. L'enthousiasme devient indescriptible lorsque les musiques, après les saluts au drapeau, exécutent « Marseillaise » et « Hymne russe » et surtout lorsque les voitures officielles viennent défiler lentement devant l'immense public.

Oh ! la foule rompt alors les cordons du service d'ordre. Les hommes poussent des acclamations les plus diverses. Le grand-duc, la grande-duchesse, la France, la Russie, nos vaillantes troupes les partagent. Les femmes agitent leurs mouchoirs, les hommes leurs chapeaux.

Jamais, depuis la venue du grand-duc Constantin et du président Carnot, en 92, Nancy n'avait montré un enthousiasme pareil.

Une chose a manqué, malheureusement, à la fête, l'arrivée des aéroplanes. Un vent violent les a retenus dans leurs hangars.

Puis, c'est le retour vers Nancy dans un tohu-bohu encore pire que celui de l'arrivée. On se bouscule derrière les régiments, où tant de braves garçons chantent à présent à la classe, ou bien on se disperse sous bois pour la dînette en plein air. — J. M.

Le retour à Nancy

Les automobiles ramenant le grand-duc, la grande-duchesse, le ministre de la guerre, le généralissime et leurs suites arrivent place Stanislas à quatre heures de l'après-midi. Le grand-duc entre dans ses appartements pendant quelques minutes, puis il se dirige à pied vers l'hôtel de ville, où il est reçu par M. Laurent, maire de Nancy.

Les officiers russes et français visitent le musée de peinture et les salons, puis ils se mettent au balcon du salon carré, où ils admirent la belle ordonnance des palais élevés par Stanislas.

La foule est des plus denses sur la place. Des cris nombreux de : « Vive la Russie ! Vive le grand-duc ! » retentissent sans cesse.

A l'Hôtel-de-Ville

Un bel éloge de nos soldats

Pendant la visite des salons, le grand-duc s'entretint avec M. Laurent, notre sympathique maire. Il lui fit un vif éloge des soldats du 20e corps.

— J'ai déjà vu, dit-il, de nombreuses charges de cavalerie, celle que je viens de voir m'a charmé, mais jamais je n'avais vu de si près une charge d'infanterie. Quand j'ai vu arriver vers moi, en ordre parfait, cette masse d'hommes, baïonnette au canon, j'ai été profondément ému, et j'ai senti battre violemment mon cœur dans la poitrine. J'ai pu admirer ainsi la discipline et l'endurance du fantassin français. »

M. Laurent rappelle alors au grand-duc les acclamations qui le saluèrent a son arrivée sur le plateau. Il lui explique que la population de Nancy se rappelle toujours qu'il y a vingt ans le grand-du Constantin venait à Nancy apporter au président Carnot l'alliance de la Russie, et que nos sentiments patriotiques n'avaient pas changé.

Le grand-duc, M. Millerand et les officiers quittèrent l'hôtel de ville salués par des cris nourris de : « Vive la Russie », les officiers russes après le salut militaire répondaient par le cri de : « Vive la France ! »

M. Millerand se rend ensuite à la préfecture.

*

*   *

Lorsque la grande-duchesse est arrivée au grand hôtel, une très belle gerbe de fleurs lui a été offerte par la ville de Nancy, composée d'orchidées et de roses de France, elle sortait de la maison Grandjean père.

*

*   *

Les frères Mougin, les céramistes bien connus, avaient été chargés de compléter la décoration des appartements de nos hôtes éminents. Ceux-ci ont beaucoup admiré leurs magnifiques œuvres d'art, d'un cachet si original.

*

*   *

Du service d'ordre, mieux vaut ne point parler. Il n'existait pas. Ou si peu. Soldats et gendarmes étaient à leur poste ; mais, en haut lieu, on n'avait su quels ordres leur donner, quelles instructions, quelles consigne ? ils devaient faire respecter. Ce fut un aimable et pittoresque gâchis.

Les coupe-files de la presse permettaient d accéder aux places où l'on ne voit rien— tandis que les agents de la sûreté générale brillaient aux premiers rangs. Craignait-on par hasard quelque redoutable et farouche complot ?

Les barrages, trop faibles, cédèrent sous la poussée de la foule. Un conseiller municipal, M. le docteur Schmitt, fut rabroué de belle façon par un militaire auquel ses galons commandaient plus de courtoisie.

Le retour des automobiles livra chauffeurs et touristes aux injures, aux menaces de gens qui plaçaient des bouteilles brisées sous les pneus.

Par contre, il nous est agréable de reconnaître qu'en dépit de ses fatigues, la police nancéienne, du commissaire central au plus humble agent — sans omettre brigadiers ni sous-brigadiers — s'efforça de remplir sa tâche délicate avec un tact parfait.

*

*   *

Nombre de nos concitoyens se sont postés vers la Carrière, car ils croyaient que les troupes défileraient, comme de coutume, une fois encore, devant le général Gœtschy.

Mais ce défilé n'a pas eu lieu, nos régiments ayant regagné leurs casernements par les voies les plus directes.

Les officiers russes ont encore été l'objet de l'empressement respectueux de la foule, qui allait à leur rencontre, les saluait et criait « Vive la Russie ». Les officiers répondaient en criant « Vive la France ».

Ils ont visité la Pépinière, puis la Chapelle-Ronde, à l'église des Cordeliers, où se trouvent, comme on le sait, les tombeaux des ducs de Lorraine.

Ils ont été vivement intéressés par tout ce que la Chapelle-Ronde évoque d'histoire.

*

*   *

Le public, à la revue, s'est beaucoup intéressé aux évolutions d'un cerf-volant cellulaire qu'il croyait être un aéroplane. En vérité, aucun aéroplane n'eut risqué un vent de plus de 20 mètres à la seconde. Ce cerf-volant, construit par M. Crouvezier, et piloté par M. Edmond Aubry, tous deux de l'Association cerf-voliste de Nancy s'est admirablement comporté, malgré les remous terribles et forts ballottements provoqués par l'irrégularité du vent.

Promenade ministérielle

A 4 heures 3/4, M. Millerand, ministre de la guerre, traversa la place Stanislas au milieu d'une foule considérable qui attendait le passage du grand-duc ; son passage resta totalement inaperçu.

Après avoir traversé la Pépinière dans toute sa longueur, M- Millerand prit la rue Braconnot, puis la rue Ville-Vieille, jusqu'au Palais du Gouvernement. Place de la Carrière, il croisa le général Kaufmant, commandant la brigade d'infanterie, qui le salua fort respectueusement. Montant la me de la Pépinière, le ministre de la guerre descendit la rue Saint-Dizier, traversa le Point-Central noir de monde et tourna la rue des Dom... pour reprendre la place Stanislas où il arriva à 5 heures.

Cinq ou six personnes ont seules reconnu le ministre de la guerre !

Le dîner

C'est par une soirée au ciel admirablement pur que s'est terminée cette belle journée.

A 7 heures, le grand-duc et la mission militaire russe se rendent du grand Hôtel au Palais du Gouvernement, dont la façade resplendit de lumières.

Sur la place Stanislas comme sur la place Carrière, la foule est déjà considérable, et ne cesse d'acclamer nos hôtes de Russie, personnifiant ici la grande nation alliée.

Au dîner offert le soir à 7 heures au palais du Gouvernement par le général Gœtschy, commandant le 20e corps au grand-duc Nicolas et à la grande-duchesse, outre M. Millerand, ministre de la guerre, y assistaient deux personnages civils, le préfet de Meurthe-et-Moselle et le maire de Nancy, la suite du grand-duc et de la grande-duchesse, MM. les généraux et chefs de corps de la 2e division de cavalerie de Lunéville, de la 20e brigade de cavalerie, de la 11e division d'infanterie ; les chefs de corps et de service de Nancy : artillerie, génie, santé, intendance ; les généraux de la 39e division à Toul ; les chefs de service de Toul : artillerie et génie.

A l'intérieur du palais, le 12e dragons formait la haie. Le colonel du régiment avait dû trier sur le volet ces gaillards de belle prestance qui, gantés de blanc, la taille bien prise dans l'uniforme, en bottes resplendissantes, furent choisis spécialement pour le service d'honneur.

Le grand-duc Nicolas, qui pendant leur défilé au galop allongé, avait marqué son admiration pour les cent dragons de Pont-à-Mouson, retrouvait là ces hommes d'un régiment d'élite qui font à leur chef le plus grand honneur.

M. Julien Walter s'est, une fois encore, révélé le Vatel dont l'éloge n'est plus à faire.

Quatre corbeilles de fleurs, cinq corbeilles de truite, d'autres corbeilles où il avait apporté ses soins pour la préparation des pâtés de foie aux truffes qui les garnissaient, des « chemine de table » élégants furent disposés avec art par M. Walter.

Les convives étaient au nombre de 60 exactement.

Le général Gœtschy, à la table d'honneur, avait à sa droite la grande-duchesse Anastasie de Russie. M. Millerand, ministre de la guerre, Mme Peterson, dame d'honneur, le général Dor de Lartours, le général prince Masselsky, S. E. Konbarsky ; il avait à sa gauche, le général baron Kaulbars, le général de Mas-Latries, le général Rauch, l'intendant militaire Savoye.

Mme la général Gœtschy avait à sa droite le généralissime Joffre, les généraux Krugenlstein, Poline, Manikowsky, Varin, etc. Elle avait à sa gauche S. A. I. le grand-duc Nicolas de Russie, Mme la vi-comtesse de Mas-Latries, M. Adolphe Bonnet, préfet de Meurthe-et-Moselle, S. E. le général de Brinken, le médecin principal Schneider, les généraux Nostitz, Bellransky, etc..

Citons -encore, parmi les convives :

M. le colonel de Laguiche, M. le colonel Curmer, M. le colonel comte Ignatieff, M. le général de Contades-Gigleux; de la 2e brigade de chasseurs, le colonel prince Cantacuzène, général de brigade Lefèvre, colonel Gérôme, colonel Valet, colonel Bouttaud de Lavilléon, Duchêne, comnmadant Simon capitaine Moyrand, capitaine Loir, capitaine Wehrlin, colonel Tillion, colonel Bertrand, colonel Gramat.

Il n'y eut point de toast ni de discours.

Devant le palais, les musiques de la garnison et les fanfares calment l'attente de la foule, dont les flots tumultueux débordent à présent sur la Pépinière et Saint-Epvre, en jouant de joyeux refrains.

Le dîner se prolonge jusqu'à neuf heures et demie.

A ce moment, les fenêtres s'ouvrent sur les balcons, où apparaissent les éminents convives. Une immense clameur de « Vive la Russie ! Vive la France I » les accueille.

Ils répondent par des saluts de la main ou des vivats.

La retraite aux flambeaux

Les musiques attaquent en même temps la retraite de pied ferme, qui est reprise, tour .à tour par les tambours, les clairons et les trompettes. Puis ce sont une marche russe, au rythme oriental, celle des hussards de la garde, notre patriotique « Marche Lorraine », l'hymne russe et la « Marseillaise ».

Nouvelles et formidables acclamations.

Quand les musiques de la garnison eurent joué la « Marche de Sambreet-Meuse », le « Boje Tzara Krani » et l'hymne de Rouget de l'Isle, le grand-duc Nicolas ne put contenir son admiration et, dans un langage empreint d'une noble et patriotique émotion, il exprima avec une éloquente sincérité les sentiments qui l'animaient.

Le général baron Kaulbars, qui se tenait auprès du grand-duc, marquait du geste la cadence des allégresses militaires, comme s'il battait la mesure — et il témoigna le désir de féliciter le chef des musiques.

Le grand-duc, la grande-duchesse, le général et Mme Gœtschy s'associèrent à ses compliments.

Nos illustres invités ne cessaient de s'extasier sur la vigueur alerte de nos soldats ; les mots de « merveilleux », « grandiose » revenaient constamment dans leurs appréciations, quand ils parlaient du concert.

Entre les morceaux exécutés, la multitude poussait de longs hourras en l'honneur des hôtes de la France.

Les ovations devaient reprendre, d'ailleurs, avec une nouvelle force, quand la retraite se dirigea vers la place Stanislas.

Et quelle foule sur la place, qui a pris sa ceinture lumineuse des fêtes de gala !...

Elle s'entasse là plus serrée encore qu'aux plus magnifiques 14 juillet !...

Les musiques et fanfares y pénètrent tour à tour en exécutent de nouveau l'hymne russe et la « Marseillaise ».

Le grand-duc, la grande-duchesse et leurs suites sont au balcon du Grand-Hôtel, saluant en souriant la foule qui ne cesse de les acclamer.

Les musiques défilent l'une après l'autre devant leurs Altesses Impériales, pour s'en aller ensuite, par les itinéraires fixés, dans diverses directions, au milieu des girandoles de leurs torches, escortées et suivies par un interminable flot humain, dont l'allégresse patriotique ne connaît plus de bornes en cette exquise soirée d'automne qui commence si magnifiquement une si belle et si réconfortante journée.

Échos de la Revue

Lorsque le 26e d'infanterie fut rentré à la caserne Thiry, le général Kaufmant a remis la croix de chevalier de la Légion d'honneur à M. Heilbronner, capitaine d'artillerie de réserve, récemment promu.

*

*   *

Les fêtes militaires franco-russes ont attiré à Nancy de nombreux Alsaciens-Lorrains, venus surtout pour assister à la revue du plateau de Malzéville.

Dans la matinée de lundi, les trains de Strasbourg ont amené trois mille voyageurs, le même nombre est venu de la direction de Metz, enfin un millier de voyageurs sont arrivés de Château-Salins, Vic, etc., par les trains de la ligne de Moncel, et la veille de nombreux voyageurs étaient déjà venus à Nancy car les hôtels regorgeaient de monde.

Lettre de M. Millerand

A l'issue du défilé sur le plateau de Malzéville, le ministre de la guerre a adressé la lettre suivante au général commandant le 20e corps d'armée :

« Mon cher général,

Le défilé qui vient d'avoir lieu sur le plateau de Malzéville en présence de L.L.A. A. I.I. le Grand-Duc et Madame la grande duchesse Nicolas de Russie, laissera dans l'esprit de tous ceux qui y ont assisté un souvenir ineffaçable.

Nos troupes de l'Est se sont montrées, comme toujours, à la hauteur de leur réputation. Leur admirable tenue, leur allure si souple et si dégagée prouvent à quel degré d'entraînement elles sont parvenues sous la direction de chefs éminents passionnément dévoues à leur tâche.

Les acclamations de nos patriotiques populations ont une fois de plus témoigné de la confiance réfléchie que le pays a en son armée.

Je vous prie de transmettre par la voie de l'ordre à toutes les troupes qui ont pris part au défilé l'expression de la satisfaction du gouvernement de la République et d'agréer pour vous-même, mon cher général, la nouvelle assurance de mes sentiments les meilleurs.

Le ministre de la guerre. Signé :

A. MILLERAND. »

Le ministre de la guerre a, en outre, accordé aux troupes la prime n° 2 et levé les punitions.

Dans les milieux officiels

L'impression

Nous avons pu joindra, dans la soirée, une personnalité du monde officiel qui nous a dit combien l'impression ressentie dans les milieux officiels fut profonde :

— Si près de la frontière, on pouvait craindre que le caractère, la signification d'une telle journée reçussent une interprétation justifiée en apparence par les manifestations d'un patriotisme heureux de s'affirmer.

L'abstention des ministres lorrains, MM. Poincaré et Lebrun, réfléchit peut-être ce sentiment ; le gouvernement français tenait à ce que la visite de nos hôtes russes fut enfermée dans un cadre strictement militaire. Les recommandations de prudence qui furent à ce propos faites à la municipalité ne laissent aucun doute semble-t-il, sur le désir d'éviter les explosions d'un patriotisme prêt à propager, comme une traînée de pondre, ses élans, ses espoirs, longtemps contenus.

Certes, ces manifestations ne nous exposaient point à des complications. Il ne faut rien exagérer. Mais tout le monde conviendra qu'il eût suffi, aujourd'hui, d'un signal, d'un simple geste, pour en accroître la portée.

Tous les efforts de l'autorité militaire, toutes les mesures qu'elle a prises, l'incertitude même qu'elle a laissé toujours planer sur l'organisation des fêtes, trahissent également une retenue que la population n'a guère pour son compte observée, pas plus qu'elle n'observa la rigueur des consignes : l'enthousiasme rompit toutes les digues.

On avait pris soin d'éloigner le grand-duc Nicolas ; on le dérobait au contact de cette multitude dont les ovations lui arrivaient à peine, parmi le fracas des charges, des galops, des salves d'artillerie.

Mais, pour montrer combien sa sympathie, sa confiance étaient grandes, le grand-duc voulut au retour de Malzéville, passer dans cette foule, joyeuse, délirante, qui agitait là-bas ses chapeaux, qui acclamait son pays, qui célébrait, dans une intime communion d'âmes celle alliance de deux grandes nations.

Plus de barrages, plus de police ni de gendarmerie, plus de services d'ordre... Les voitures officielles furent prises, en quelque sorte, d'assaut. Des ouvriers escaladaient les marche-pieds et, par les portières ouvertes, ils tendaient au grand-duc leur main que celui-ci serrait avec effusion.

Les officiers, en allant à la revue, échangeaient à peine des salut» avec les groupes massés sur le passage du cortège ; mais, au retour, ils ne cessèrent de répondre avec un cordial empressement aux vivats.

Toutes les recommandations de prudence, toutes les rigueurs des consignes, tout ce que les sphères officielles avaient prescrit pour l'effervescence populaire, échouaient .devant poussée des cœurs heureux de se précipiter à la rencontre des uns des autres.

Cette inoubliable journée comptera parmi les grands événements dont la Lorraine a été le théâtre dans l'histoire, en raison de la haute et généreuse signification qu'elle a revêtue, en dépit- des conseils officiels et des objurgations timorées.

La sagesse populaire a su éviter les incidents ; mais, sous son calme, elle garde intacts le précieux dépôt et le culte profond de ses traditions.

On avait dit aux Nancéiens : Restez tranquilles... Contentez-vous de pavoiser. Mettez des drapeaux à vos fenêtres. Cela suffira !.. »

Un seul geste de nos amis russes a changé cela, qui ne suffisait plus, qui n'aurait jamais pu suffire aux Nancéiens.»

Demain, un autre geste sera fait, peut-être et l'on comprendra que l'impression fidèlement reproduite des milieux officiels recherche d'autres occasions de se produire sans souci du protocole et sans autorisation préalable des chancelleries. — A. L.

La journée de mardi

On sait que ce matin mardi, le grand-duc partira en auto avec sa suite et le général Gœtschy pour la visite des forts de la place de Toul- En cours de route, il prendra le général Beltramelli, commandant l'artillerie ; le colonel Crumer, commandant le génie ; le général Rémy, gouverneur de Toul, avec son état-major.

Ordre du cortège pour Toul

1° voiture : Le grand-duc, le ministre de la guerre, le général Gœtschy.

2° voiture : Général Kaulbars, général Joffre, capiitaire Renouard, colonel prince Cantacuzène.

3° voiture : Général de Krusenstern, le Préfet, colonel Bertrand, colonel Gramat

4° voiture : Colonel Curmer, capitaine Loir.

5° voiture : Général lieutenant de Brinken ; général de Lastours ; colonel Kniajewitsch ; commandant Bouchy.

6° voiture. — Général lieutenant Massalsky ; général Bertramelli.

7° voiture. — Colonel Ignatief, commandant Simon : général lieutenant Rauch ; colonel Hely ; général Koubarsky ; lieutenant-colonel Weygand.

8° voiture. — Général lieutenant Manikoswski ; colonel de Laguiche ; capitaine Picard ; lieutenant Donmavnon.

9° voiture. — Général Nostitz ; colonel Malton ; capitaine Werhlin.

La réception à Toul

M. Albert Denis, député et maire de Toul, nous a dit qu'une réception aura lieu dans cette ville mardi, à 4 heures et demie, solennité au cours de laquelle la municipalité qu'il préside remettra à la grande-duchesse un vase magnifique spécialement fabriqué à son intention.


BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain du mercredi 25 septembre 1912

La Mission russe dans l'Est

Le geste joli

La visite du grand-duc Nicolas à Nancy était exclusivement une visite militaire. On a fait tout ce qui était humainement possible pour écarter du passage des personnages officiels les manifestations populaires.il a été répété sur tous les tons que les officiers russes n'étaient venus en France avec leur généralissime que pour admirer notre belle armée, étudier nos ressources d'énergie et d'organisation de combat, et rapporter au pays ami et allié leurs impressions qui consolideraient sans doute notre alliance et notre amitié.

La diplomatie qui n'a dans l'enthousiasme des foules qu'une confiance extrêmement limitée l'avait décidé ainsi. Elle prévoyait des incidents, des provocations ou du moins des acclamations imprudentes et peut-être dangereuses. Elle souhaitait que le grand-duc vît hors des excitations en commun nos troupes armées. Elle a tenu les Russes hors de ces excitations.

Elle a fait évidemment en ces circonstances, pour obtenir ce résultat, les efforts les plus méritoires.

Mais résister à la fièvre patriotique des populations lorraines, c'est entreprendre une œuvre au-dessus des forces humaines. Le peuple n'est pas resté à l'écart, et le peuple à bien fait. Bousculant la froideur officielle la foule, au plateau de Malzéville, a acclamé l'amitié de la Russie.

La présence d'une femme a suffi pour changer heureusement la signification de la manifestation militaire. Lorsque les Lorrains et les amis accourus de partout ont vu la grande-duchesse venir à eux dans sa voiture, ils n'ont pu contenir leur émotion, et courant vers celle que n'absorbent pas les soucis militaires, et qui est la personnification exquise de son pays, ils ont crié leur joie de la voir toute proche.

Ils la saluaient de merveilleuses acclamations, tendaient les bras vers elle. Et beaucoup avaient les yeux pleins de larmes.

Ah! oui, on était orgueilleux présenté au grand-duc une armée si brillante, si bien entraînée, si parfaitement disciplinée.

Mais on était bien plus heureux d'acclamer une femme que n'épouvante pas l'appareil militaire, et qui sourit doucement parmi l'éclat des baïonnettes et l'éclair des sabres.

La grande-duchesse, que le cérémonial protocolaire avait éloignée de la foule, a désiré être près d'elle, et a défilée devant elle. Elle montrait ainsi sa confiance dans l'affection du peuple français. Elle entendait battre le cœur de France.

C'est un joli geste, celui que l'on n'attendait pas, et qui a déchaîné l'enthousiasme volontairement réprimé jusque là.

Cette gracieuse simplicité a eu raison contre toutes les précautions minutieuses. On n'a pas entendu un cri discordant. On n'a pas relevé une seule provocation, on n'a. pas perçu le moindre sentiment d'amertume.

Et les hommes qui sont chargés de diriger nos affaires internationales peuvent être satisfaits de l'attitude de la grande-duchesse.

La meilleure diplomatie, celle qui réussit mieux avec les Français, c'est encore un élan venu du cœur, un geste aimable, une attention féminine.

RENÉ MERCIER.

*

*   *

La Journée de mardi

Le Grand-Duc visite les forts de Saint-Michel et Lucey ainsi que le parc aérostatique

Mardi 8 heures moins cinq du matin, le ciel est couvert de brouillard et le temps est frais. Un certain nombre de curieux sont asseùblés devant le Grand-Hôtel, facilement contenus par un service d'ordre que dirige M. Dequesne, commissaire central.

Les autos destinées à amener le grand-duc et sa suite trépident. A 8 heures exactement, le grand-duc sort du Grand-Hôtel. Toutes les têtes se découvrent. On crie « Vide la Russie ! »

Le grand-duc monte dans la première voiture.

Les officiers russes et français prennent place rapidement dans les autres puis le cortège file, à toute allure, par la rue de la Constitution et le faubourg Saint-Georges.

Voici son itinéraire : Grand-Mont d'Amance, Champigneulles, Forêt de Haye, les Cinq-Tranchées, Maron, Villey-le-Sec, Toul.

A Chavigny

Au moment du passage du grand-duc à Chavigny, une charmante fillette, Marcelle Ohmer, tout de blanc vêtue, portant dans les mains un magnifique bouquet, s'est détachée de la route.

Lorsqu'il l'aperçut, le grand-duc fit aussitôt stopper son auto. La fillette remit le bouquet à l'oncle du tsar qui l'embrasse.

A Neuves-Maisons et à Pont-Saint-Vincent

A 10 heures 35, l'automobile où se trouvent le grand-duc, M. Millerant, le général Joffre, descend devant le fort. Les deux compagnies du 153e qui forment la garnison, rangées devant l'ouvrage, rendent les honneurs. La visite du fort commence aussitôt ; elle est terminée à 11 heures 25.

A Villey-le-Sec

De Pont-Saint-Vincent, le cortège a gagné Villey-le-Sec, fort qui a vivement intéressé les officiels russes. On sait qu'il englobe le village même. Il est absolument unique en son genre.

De Villey-le-Sec, le cortège s'est rendu à Toul où il est arrivé vers midi. Un déjeuner a eu lieu.

Au Cercle militaire

Et voici le menu :

Hors-d'Œuvre variés

Escalope de Homard à la Parisienne

Cotelettte d'Agneau Villeroy

Caille Valenciennes

Haricots verts Écossais

Chaud-froid de Volaille

Salade d'Istrie

Parfait Praline

VINS

Cherry — Porto

Meursault Goutte d'Or

Château Léoville

Chambertin

Crémant — Montebello

Le grand-duc avait à ses côté le général Joffre et le général Gœtschy. En face de lui était le ministre de la guerre de Toul, et M. A Denis, maire de Toul, assistaient également au déjeuner.

La gare de Toul

La gare est magnifiquement décorée de trophées de drapeaux et de guirlandes du meilleur effet. La salle d'attente des premières est transformée en salon tout tapissé de tentures rouge-cramoisi relevé sur crépines d'or, avec trophées de drapeaux russes et français, panoplies d'armes, curiasses empruntées à l'Arsenal, et entourant de gigantesque croix de la Légion d'honneur et de médailles militaires. A la porte, faisant face aux quais, deux obusiers en batterie dressent leurs gueules béantes.

Dans l'après-midi, la visite des ouvrages de la défense de Toul a continué. Le grand-duc a quitté la ville à 6 heures 35 pour Paris.

Aux forts Saint-Michel et Lucey

Il est exactement deux heures quand le banquet prend fin. Les musiques jouent l'hymne russe et le grand-duc et sa suite remontent en auto. La population, plus nombreuse encore que la première fois, pousse des hourrahs plus forts, tandis que les voitures traversent la ville en grande vitesse pour gravir les pentes raides du fort Saint-Michel. Plusieurs voitures stoppent au premier raidillon, les moteurs calent la côté. Le grand-duc se présente à l'entrée du redan à deux heures et demie. C'est le fort le plus élevé et le plus central du camp retranché ; bâti sur le roc, il paraît inexpugnable du côté de la plaine. Une consigne sévère ne nous permet pas d'approcher, mais nous suivons de loin la visite qui consiste surtout dans le tour de l'horizon. Les officiers du génie expliquent en détail le principe dicté par la défense avec les batteries entrecroisant leurs feux.

Mais la visite principale est le fort de Lucey. Le village, situé au pied de la côté est pavoisé, les habitants sont tous rassemblés et poussent des vivats frénétiques. Partout, un service d'ordre fonctionne parfaitement, la gendarmerie surveille les routes et les ponts, empêchant les encombrements.

Les généraux Remy, gouverneur de Toul, Mazel et de Mas-Latour, le sous-préfet reçoivent le grand-duc, tandis que le 2e groupe d'infanterie de forteresse, sous les ordres du colonel Lebocq, rend les honneurs, les clairons sonnent « aux champs » et le capitaine Batailler s'offre pour faire visiter le fort.

De tous les forts nombreux qui entourent le vaste camp retranché de Toul, celui qui est construit selon les règles modernes de la défense des places fortes, celui qui réunit tous les perfectionnements modernes apportés dans l'armement est sans conteste le fort de Lucey. Assis à l'éperon même d'une côte au nord de Toul, commandant au loin la plaine et les coteaux qui courent jusqu’à la frontière, il est un des maillons de cette triple chaîne qui enserrent la place forte et en est aussi un des plus forts. Blindé, cuirassé, il possède sept tourelles jumelées des canons de 155 et 120 et de nombreuses batteries, plus celle isolées du Rosoire, Lagney, Domfontaine, Laneuveville, armées de plus de vingt-cinq pièces de gros calibres.

Le général Remy, gouverneur de Toul, ne pouvait faire un meilleur choix dans l'expérience qu'il allait renouveler sous les yeux de son visiteur princier. Du fort de Lucey, en effet, on découvre le plus magnifique panorama.que l'on puisse voir, offrant le plus beau champ de tir que Ion puisse rêver.

C'est le colonel Fetter, commandant le 6e régiment d'artillerie de forteresse, qui dirige le feu et, aussitôt après l'entrée dans ce fort du grand-duc et de sa suite, l'ordre est donné d'armer les batteries.

On signale aussitôt les panneaux dressés à l'Étang-Neuf, dans la plaine de Boucq, arrière la fôret la Reine, à huit kilomètres de distance ; d'autres cibles sont aussi placées à moins grande distance, au bas de la côte, dans la plaine de Lagney, au lieu dit à la Croix-Furie. Les repérages et les pointages sont faits aussitôt, sur l'ordre du commandant. C'est d'abord un tir préparatoire, puis tout à coup un tir par rafales, avec charge et puissance réelles de combat de tous les engins cuirassés que possède le fort.

Nous qui sommes pourtant prévenus, bien à l'abri, les oreilles bouchées et protégées, nous avons l'impression d'être sur un volcan ; la terre tremble, le tapage est assourdissant, on ne se comprend que par gestes et l'air, violemment ébranlé, déferle en remous violents qui se heurtent courent dans tous les sens, s'engouffrent partout, empêchent de respirer, emplissent de force les narines et les poumons à les faire éclater. Tout cela dure huit minutes, qui paraissent des heures. C'est cent fois plus fort qu'un ouragan, un cyclone, un tremblement de terre. Les tourelles et les pièces du fort de Lucey ont tiré en huit minutes 600 coups, déferlant sur les cibles et les panneaux un ouragan d'acier qui les réduisent en miettes et défoncent la terre. C'est l'image d'une partie de la guerre de forteresse.

Au parc aérostatique

Le grand-duc demanda ensuite à voir une mise en batterie des affûts-trucs de 120 et 155.

La visite avait duré plus longtemps que le protocole l'avait -prévu, aussi il fallut écourter le programme, abandonnant la visite prévue au fort du Vieux-Canton. Les voitures se dirigèrent vers les hangars à dirigeables sur le champ de manœuvres de Domanartin. C'est en détail que le grand-duc parcourut ce beau parc aérostatique, s'en fit expliquer toutes les annexes, le fonctionnement et la fabrication de l'hydrogène. Mais l'heure pressait, en toute hâte il regagna la gare avec le même cortège qu'au départ. Le 156e d'infanterie, colonel et drapeau en tête, rendait les honneurs et tandis que Son Altesse Impériale prenait enfin possession de son train spécial, les musiques des quatre régiments jouaient la «Marche Loir line » et d'autres pas redoublés.

Par une délicate attention, les voitures du train présidentiel avaient été décorées de magnifiques gerbes de roses et d'orchidées par les soins des officiers de la garnison

C'est là que la grande-duchesse Anastasie vint rejomure son mari.

Avant de quitter la Lorraine S. A. l'Archiduchesse a voulu voir la frontière

Tandis que le grand-duc, M. Millerand, le général Joffre, le général Gœtschy et leurs suites, quittaient le grand Hôtel, à 8 heures, pour visiter le piton d'Amance, et gagner ensuite par Bouxières-aux-Dames, Pont-Saint-Vimcent et Lucey, la grande-duchesse, accompagnée d'un officier d'ordonnance, de deux officiers français et de sa dame de compagnie, Mlle Peterson, se rendait à la verrerie Gallé, avenue de la Garenne.

A son départ du Grand-Hôtel, la grande-duchesse, en toilette mauve, était respectueusement saluée par la foule.

Avenue de la Garenne, elle était reçue par Mme Gallé, entourée des principaux employés de sa maison et de M. Laurent, maire de Narcy.

La visite des ateliers se prolongeait jusqu'à dix heures.Une consigne impitoyable empêchait d'approcher le profane. On put savoir toutefois que son Altesse impériale avait été émerveillée par sa visite et c'est par d'affectueux serrements de main qu'elle prend congé de Mme Gallé.

Lorsque son automobile se remet en route, on remarque qu'elle contient une jolie gerbe de fleurs de plus.

Quel changement de décor avec hier ! Au lieu d'un soleil splendide, nous avons un ciel maissade ; les brouillards se traînent au fond do l'horizon. Bientôt d'ailleurs, il pleut, non pas une pluie d'averse, sans doute ; mais une bruine froide qui nous reporte brusquement en arrière, aux plus vilains jours de notre.été.

Les autos filent quand même à belle allure vers la ponte Saint-Nicolas et la rue Saint-Dizier.

— Où va-t-on ?

L'un opine pour le Grand-Hôtel, l'autre pour le Musée Lorrain.

— Non, ce n'est ni place Stanislas ni rue Ville-Vieille.

— Hé ? l'agent, où va-t-on ?

— A Champenoux, répond le représentant de l'autorité, qui pédale à toute vitesse à côté de notre auto.

On aurait pu croire que l'agent avait voulu nous lancer là une plaisanterie.

— Pourquoi pas à la Bouzule ?

On doit pourtant bien se rendre à la réalité. Par le faubourg Saint-Georges, en effet, où de nombreux habitants se découvrent et crient « Vive la Russie » au passage des quatre autos dont les fanions dénoncent la qualité. On brûle Pont-d'Essey, on brûle les Colonies, Seichamps, Laneuvelotte, et nous voici... à Champenoux :

— Brigadier, vous aviez raison !...

Il est vrai qu'on ne s'arrête pas plus à Champenoux qu'au Pont-d'Essey, qu'à Laneuvelotte ou qu'à Scichamps. Et l'on ne tarde pas à voir poindre, au fond de la côte, le clocher de Brin-sur-Seille.

Sur le pont de Brin

Ah ! quelle délicate pensée avait eue la grande-duchesse. Le geste qu'elle va faire, qu'elle a voulu, qu'elle a décidé, gravera pour toujours son non dans les cœurs français.

Elle a voulu connaître, elle a voulu honorer de sa visite, le dernier lambeau de la terre restée française...

Les autos stoppent. La grande-duchesse descend accompagnée de Mlle Peterson et des officiers attachés à sa personne. Elle s'adosse au parapet, à deux pas de la baraque du brave douanier qui se met, en sachant trop de quoi il retourne, mais par simple galanterie, dans la position du soldat sans armes.

— C'est l'archiduchesse de Russie, va lui annoncer un brave habitant.

L'archiduchesse de Russie !...

La nouvelle se propage comme une traînée de poudre dans tout le village.

Les habitants accourent. Les enfants — cet âge est indiscret — poussent jusqu'aux pieds de Son Altesse Impériale, qui leur adresse ses plus gracieux sourires.

La grande-duchesse Nicolas de Russie sur le pont de Brin-sur-Seille

A la frontière. — La grande-duchesse Nicolas de Russie s'arrête sur le pont de Brin-sur-Seille.

Et par toutes les rues du village, on accourt à présent. Les hommes abandonnent l'outil. Les femmes leurs occupations du ménage. L'on vient sans façon, en bras de chemise, mais avec un sourire si Largement épanoui que l'on devine que le geste de Son Altesse est allé droit au cœur de tous ces braves gens.

— Mon, Dieu ! Si on avait su !... s'écrie une femme. Quel beau bouquet !

— Vite, allons-en cueillir un…

Bientôt, une fillette arrive, avec le bouquet.

Malheur eu sèment, Son Altesse Impériale n'était pas prévenue, et son auto avait démarré.

Et la pauvre enfant qui tenait le bouquet en avait Les larmes aux yeux.

— Quel malheur ! gémissait-elle. C'est des fleurs des champs ; elles étaient toutes trempées. Ma mère a voulu les essuyer, et voilà...

Mais la seconde voiture n'est pas encore partie. Le colonel russe Wolff est mis au courant de l'incident. Il s'avance vers la fillette qui, à tout hasard, lui donne son bouquet.

— Je n'ai pas pu le donner à Mme l'archiduchesse, dit-elle. Il était trop mouillé.

— Mon enfant, lui répond en riant le colonel. Je me charge de la lui remettre, ne pleurez pas. Je puis vous assurer que Son Altesse sera enchantée. Je vous remercie pour elle.

Et le colonel remit à la jeune fille une généreuse... consolation.

Et voilà comment Son Altesse Impériale emportera de chez nous des fleurs cueillies dans ces derniers champs, restés français à qui elle avait tenu, de porter — oh ! mon. Dieu, laissez-nous dire sans envie de complications diplomatiques — le réconfort d'une puissance alliée et le sourire plein d'espérance dune femme. !

... Nous filons à une allure assez lente le long de cette Sellie, qui représente — hélas ! — la cicatrice... De l'autre côté, à deux pas, c'est. Bioncourt, Bioncourt, la Lorraine, Bioncourt au nom si sonorement français !...

La grande-duchesse sur la hauteur de Mousson

Sur la hauteur de Mousson - Là-bas, madame, c'est Metz !...

Allons ! Allons ! Tout n'est pas perdu.Le ciel s'ouvre au soleil... Reprenons un-peu de gaieté !... — J. M.

De Brin à Mousson

Le chauffeur qui conduit l'automobile de la grande-duchesse ne doit pas être familiarisé avec la toposrraphle de notre région

Au départ de Brin-sur-Seille, il s’écarte sensiblement du plus court chemin et c'est par un itinéraire détourné qu'il guida le cortège à travers un paysage voilé de pluie et de brume.

Nous traversons à grande allure Leur, Sivry, Belleau, Ville-au-Val. Les populations s'étonnent d'abord de cette visite, mais les fanions dont sont pavoisées les limousines dissipent bien vite leur incertitude.

Quelque fermières, au passage, agitent leurs mouchoirs ; des paysans se découvrent ; les enfants en troupe Joyeuse, poussent des cris aigus : « Vive la Russie ! »

A partir d'Atton, les difficultés commencent. Nous avions gravi des montagnes — russes, naturellement — mais, pour escalader les rampes abruptes, les sentiers rocailleux, étroits, presque inaccessibles, qui serpentent jusqu'aux ruines de Mousson, il faut toute la résistance des Peugeot et de notre Grégoire.

A Mousson

Il est midi 10 quand le cortège débouche sur la terrasse, d'où le regard embrasse un immense horizon que la brume estompe de ses molles vapeurs.

Tout de suite les portières s'ouvrent Ia grande duchesse descend. Le colonel d'état-major russe Wolff, puis Mlle Peterson, dame d'honneur, mettent pied à terre.

Les officiers français les accompagnent. Ils déploient des cartes et, le doigt tendu vers les points sur lesquels la grande-duchesse désire fixer son attention, ils lui montrent, au loin, dans la vallée de la Moselle, les taches que font les bois, les villages, les labours.

— Je voudrais apercevoir Metz... insiste l'illustre voyageuse.

Pendant près tie dix minutes, la grande-duchesse demeure dans une sorte de contemplation muette écoutant avec intérêt les explications que s'empressent de lui fournir les officiers de l'escorte :

— Ah ! il est bien regrettable que le temps soit aussi couvert... On ne distingue rien... J'aurais tant aimé à voir la flèche de la cathédrale !

Une ménagère de Mousson, Mme Chéry, en apprenant que des touristes étrangers sont là, court à son jardin, coupe à la hâte une gerbe énorme de chrysanthèmes qu'elle apporte dans ses bras.

Ce délicat hommage lui vaut une pièce d'or.

D'un signe. Son Altesse ordonne au chauffeur d'avancer sa voiture, dans laquelle elle monte pour regagner Nancy à toute vitesse.

L'inspecteur de la sûreté générale, dont l'émotion, la stupeur, la colère n'avaient cessé de se manifester à notre égard, essaya vainement de s'opposer au « travail » des photographes.

Nos lecteurs pourront voir que, dans ce duel opiniâtre, le journalisme est plus habile ou plus fort parfois que la police.

— puisque nous avons pris une collection de clichés dont nous serons heureux d'offrir à notre Sherlock Holmes une épreuve sensationnelle. Entre nous ça vaut bien cela !

A cote des grands événements, il y a toujours place pour l'anecdote : la grânde-duchesse fait de l'histoire ; nous avons fait du reportage — et tout cela compose une journée dont l'opinion s'occupera longtemps !

ACHILLE LIEGEOIS.

Le départ de la grande-duchesse

La grande-duchesse est rentrée de son excursion à la frontière à midi 45. Après déjeuner, S. A. I. a quitté le Grand-Hôtel, à trois heures et demie de l'après-midi. Elle est montée dans son auto, fleurie de toutes les gerbes magnifiques ou simples bouquets des champs qui lui ont été offerts pendant son court séjour à Nancy ou pendant sa promenade de mardi matin.

La foule nombreuse qui était massée sur la place a salué respectueusement la grande-duchesse qui répondit en souriant, puis la voiture s'est éloignée rapidement par la rue Stanislas.

La grande-duchesse pour se rendre à Toul, d'où elle partira pour Paris, a passé par Villers et Maron, traversant ainsi la forêt de Haye.

La Grande-Duchesse à Toul

" Française par le cœur

Un malaise passager a empêché la grande-duchesse de visiter la ville de Toul. De suite elle fit mander M. A. Denis, maire et lui en exprima tous les regrets.

Ce dernier lui offrit un superbe vase de faïence, produit de l'industrie locale, et marqué aux armes de la ville, tandis que le grand-duc venait remercier le maire de l'accueil touchant et sympathique qu'il avait reçu dans son court séjour.

A un officier général, la grande-duchesse :

« J'ai trois patries : Je suis Monténégrine par la naissance, Russe par le mariage et Française par le cœur. »

Il est 6 heures 20, le train s'ébranle, tandis que les musiques jouent l'hymne russe et que la foule considérable crie : Vive la Russie,, le grand-duc et la grande-duchesse disent, à tous : Au revoir, merci.

Délicate attention

la grande-duchesse a remis au général Gœtschy un magnifique fume-cigarette avec prière de le remettre au chef de musiejuo Sablon, de Nancy.

La Revue et les Officiers de réserve

Un assez vif mécontentement règne parmi les officiers de réserve de Nancy, au sujet de l'éloignement dont ils auraient été l'objet à l'occasion de la revue.

Plusieurs nous ont déclaré que cette fois la place ne les a pas même « autorisés » comme d'habitude et, selon la formule ordinaire, à assister à la revue.

L'officier de service aurait même dit au président de la Réunion des officiers de réserve qu'aucun emplacement n'était fixé pour eux.

Cependant, une vingtaine d'officiers de réserve se sont réunis à la droite de la tribune ; ils ont vivement regretté d'être aussi peu pour être présentés au ministre de la guerre, alors que, dans ce département frontière, ils sont environ quatre cents.

Les officiers de réserve font valoir que leur rôle exige un indéniable dévouement. Dans leurs écoles d'instruction les officiers de l'active qui les dirigent ne cessent de préconiser l'entente parfaite entre les deux éléments chargés du commandement de notre armée.

Dans ces conditions, les officiers de réserve se croient en droit de revendiquer quelques égards et prétendent n'être pas « rabroués » comme des soldats de deuxième classe arrivant a la caserne.

M. Millerand — qui a été officier de réserve — et a conservé beaucoup d'estime pour ses anciens camarades, aurait été certainement heureux de les, voir plus nombreux sur le terrain du plateau de Malzéville.

Telles sont les doléances dont nous nous faisons l'écho en étant persuadés qu'un ordre et une discipline, vertus essentiellement militaires, se produiront dans les futures prises d'armes.

---- o - o-o ---

Lorraine et Russie

Ce n'est pas d'aujourd'hui que datent les relations amicales de la Lorraine et de la Russie.

Sans remonter à l'histoire de nos ducs, bien des anciens se rappellent avoir entendu raconter par leurs parents ou leurs grands-parents fa venue à Nancy de l'emplacement du premier cimetière Russes, au quartier suburbain de Mon Désert, et les nombreux soldats de l'Invasion enfouis dans les bois de Bosserville et de Domêvre-sur-Vezouse, admirablement soignés par les femmes de chez nous.

Mais ce n'est guère qu'à partir de 1892 (on le rappelait éloquemment ici même l'autre jour), lors de la visite du grand-duc Constantin au regretté président Carnot, le 5 juin 1892, que les relations entre la Lorraine et la Russie devinrent de plus en plus cordiales

La première arrivée officielle des marins russes de l'escadre de l'amiral Avelane, à Toulon et à Paris, fut l'occasion d'une merveilleuse manifestation lorraine en 1893.

Une rue particulière se créait à Nancy derrière la maison Zobel : on lui donna le nom de rue de Toulon, et plus tard, à une voie toute voisine, celui de rue de Cronstadt, qui lui est resté. La rue de Toulon est devenue la magnifique avenue de France actuelle.

A cette occasion, un Comité de patriotes et d'artistes lorrains se forma à Nancy sous l'impulsion de la Lorraine-Artiste.

On décida d'offrir au tsar Alexandre III un superbe Livre d'Or composé d'une centaine de gravures, d'estampes et d'aquarelles de peintres lorrains le tout encadré dans une merveilleuse reliure de Prouvé, Camille Martin et René Wiéner.

Ce Livre d'Or enrichi d'une préface de M. Alfred Mézières portait en feuillet d'en-tête cette suggestive dédicace :

« Les Fidèles Lorrains sont heureux de célébrer l'amitié qui lie les deux grandes nations européennes pour l'œuvre de paix et de justice. Unis dans un même sentiment de fierté et d'allégresse patriotiques ils saluent avec émotion l'arrivée d'une' escadre russe dans la Méditerranée.Les 1713 communes, les 520 sociétés et la presse de Lorraine ont signé sur ce Livre d'Or et envoient à la noble, à la vaillante Russie l'affirmation unanime de leur confiante loyale et fraternelle affection Vive la Russie ! Vive la France ! »

Le Livre d'Or fut remis solennellement au tsar sur une table plus encore, œuvre inédite du maître Gallé, toute en mosaïque de bois divers incrustés: et intitulée: Flore de Lorraine.

Émile Gallé mit tout son prestigieux talent dans cette table unique qui est son chef-d'œuvre et sur les bords de laquelle, il grava cette phrase si simple mais si éloquente :

« Gardez les cœurs qu'avez gagnés ! »

Cet ensemble artistique est dit-on Conservé précieusement au palais de Péterhof, avec une gracieuse réduction en bronze d'une des grilles de la place Stanislas.

De splendides cadeaux furent offerts également par le Comité lorrains, ayant à tête le regretté Edgar Augun, à tous les marins russes et à leur chef.

Des vases en argent de toute beauté furent ciselés par les maisons Kauffer et Daubrée ; des coupes de Champagne d'un modèle spécial et unique des frères Daum leur furent offertes, ainsi qu'un bronze lorrain et des tableaux en faïence, de Longwy. Un modèle de ces coupes si originales a été déposé par la maison Daum au Musée lorrain.

*

*   *

Ce n'est pas tout, lorsque le président Carnot était venu à Nancy, l'Union du commerce, présidée par M. Demenge-Cremel, lui avait présenté un riche album, en souvenir de sa visite.

La mort tragique du président de la République à Lyon, en juin 1894, donna l'idée au même groupement de commémorer l'entrevue du 5 juin 1892, à la Préfecture de Nancy, entre le président Carnot et le grand-duc Constantin.

On sait ce qu'il arriva... comment l'idée primitive se développa, et comment au lieu d'un simple plaque de marbre ou de bronze sur la façade de la Préfecture, on résolut d'ériger un monument grandiose, qui rappellerait, à la fois, dans le bronze et le granit, et la mémoire de Carnot et la genèse de l'alliance franco-russe a Nancy.

Ce fut l'œuvre du Monument Carnot pour la réussite duquel se dépensèrent sans compter M. Demenge-Cremel et les hommes de son comité. Ce fut la souscription rapide des communes lorraines ; le don des blocs de granit, la tombola populaire, et les deux belles statues de Victor Prouvé, symbolisant la France et la Russie, la Grâce et la Force, la Paix avec son rameau de laurier, la Force armée avec sa branche ds chêne, se donnant la main dans une chaleureuse étreinte, devant l'arbre aux puissantes ramures qui supportait le médaillon auréolé de Carnot.

Et voici que vingt ans après, dans la même apothéose de gloire militaire, dans les mêmes acclamations populaires, dans la même féerie de ce merveilleux décor de nos places Carrière et Stanislas, voici que l'alliance de deux grands peuples s'est confirmée solennellement et soudée plus intimement encore.

Jamais peut-être spectacle plus impressionnant n'a enthousiasmé nos populations — et de nombreux Parisiens venus à cet effet — que cette vision de nos quatre régiments, alignés sur la crête du plateau de Malzéville, face à la ligne bleue des Vosges, entre le Mont Saint-Michel au Féril-de-la-Terre et la Côte de Delme, pendant que crépitaient les canons et que, dans une union de tous les cœurs, retentissaient l'hymne au tsar et la « Marseillaise » des victoires. Allons, enfants de la patrie,

Le jour de gloire est arrivé !

Et là bas, des flammes voltigeaient, rouges et blanches, disant les souvenirs et les espoirs de la race, sous le clair soleil de septembre, au cher pays lorrain !

E. BABEL.



Albums de cartes postales
Fêtes et manifestations
Guerre 1914-1918
Webmaster - Infos
Ecrire à Grouillot