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L'Est républicain du dimanche23 juillet 1899

La revue du plateau de Malzéville

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Un public nombreux avait gravi, samedi, la dure côte du plateau et bravé les rayons d'un soleil déjà ardent pour assister au spectacle toujours si attrayant d'une parade militaire, et acclamer une fois de plus notre vaillante armée. Il y avait surtout un nombre extraordinaire de voitures en tous genres, victorias, breacks, fiacres, et toutes servaient d'observatoires.

Le 12e dragons, de Pont-à-Mousson, était venu compléter la 20e brigade de cavalerie (qu'il forme avec le 5e hussards) et avait cantonné, la veille, à Lay-Saint-Christophe et à Agincourt.

Quant aux vitriers de Saint-Nicolas — le 4e — ils avaient quitté leur garnison bien avant l'aube et, en arrivant sur le terrain, avaient par conséquent, comme on dit, une quinzaine de kilomètres dans les jambes.

L'arrivée du général Hervé, inspecteur d'armée, à huit heures précises, a été saluée par une longue acclamation, qui l'accompagnait de groupes en groupes à mesure qu'il s'avançait avec son brillant état-major et son escorte de hussards le long des régiments qu'on eût dit alignés au cordeau. Fanfares et musiques jouaient la Marseillaise.

Le défilé a immédiatement suivi la revue. En tête marchait la fanfare du 4e bataillon de chasseurs, sonnant le refrain si populaire de la Sidi-Brahim. La compagnie de bicyclistes de la 11e division, sur deux rangs, impeccables, précédait le génie, suivi lui-même par les chasseurs à pied.

L'infanterie de ligne a défilé par bataillon. Chaque brigade avait réuni ses musiciens. Inutile de dire que la « division de fer » s'est montrée une fois de plus à hauteur de sa réputation. De loin, avec le pantalon rouge engagé dans les guêtres blanches, on eût dit des régiments d'Afrique. Le refrain des zouaves, joué par les musiques de la 22e brigade, complétait l'illusion. Ne parlons pas du soleil. Il avait eu l'obligeance de se cacher à ce moment sous un nuage. Que n'y est il demeuré jusqu'à la descente du plateau !

Mais l'infanterie a fait un à droite et a disparu dans la direction de Bouxières. Voici la cavalerie. Les trompettes sonnent le galop de charge. Les escadrons dans un nuage de poussière. Les chevaux des hussards paraissent plus nerveux encore que d'habitude, agacés qu'ils sont par la chaleur.

Soudain, au premier rang, un cavalier tombe, puis un second trébuche contre lui et tombe à son tour, puis c'est un troisième !...

Arrêtez ! Arrêtez ! crient quelques dames et aussi quelques hommes. Mais les trompettes, là-bas, sonnent toujours. Tout le 5e hussards passe sur les cavaliers désarçonnés, et les chevaux étendus sur le sol — sans les toucher, car les rangs se sont légèrement entr'ouverts. Soudain, avant que le 12e dragons n'arrive, l'un des hommes réussit à faire relever son cheval, saute en selle et rejoint son régiment.

Mais on ne voit pas se relever les deux autres... La trombe chevelue des dragons passe à son tour sur eux. Un frisson d'angoisse gâte le plaisir d'admirer ces superbes escadrons...

De toutes parts, le public se précipite vers les hussards désarçonnés, qu'on croit morts ou tout au moins grièvement blessés. Mais les médecins militaires nous ont déjà précédés. Ils font circuler. On a le temps toutefois de savoir que les deux hommes en sont sortis sans la moindre écorchure, car les dragons ont su aussi entr'ouvrir leurs rangs de façon peu apparente, mais suffisante. Ils sont à présent debout et semblent un peu confus. Un des chevaux ne peut se relever qu'après un pansement, et encore il boite fortement d'une jambe de derrière.

Il est bon de savoir, d'autre part, que la théorie indique aux cavaliers désarçonnés ce qu'ils ont à faire en pareilles circonstances, forcément assez fréquentes lors des charges, surtout dans un terrain pierreux comme celui du plateau. Si les deux derniers chevaux sont demeurés immobiles, ce qui portait à croire qu'ils étaient morts, c'est que leurs cavaliers, brides en mains, leur maintenaient la tête allongée sur le sol.

Le clou a été la charge de l'infanterie, massée en ligne de bataille, avec ses quatre musiques au milieu, jouant, renforcées par les tambours et les clairons : Il y a la goutte à boire la-haut !... L'aspect de cette forêt mouvante de baïonnettes était vraiment impressionnant...

La charge de cavalerie a mis le comble à l'admiration générale. Le public était pour de bon « emballé ». On ne cessait de crier : Vive l'armée! On agitait les chapeaux au bout des cannes, surtout lorsque le 12e dragons s'est arrêté net, à 20 mètres des spectateurs, et a présenté le sabre, tandis que jouait sa fanfare...

Aucun cri discordant ! On a entendu un cri de : Vive Déroulède ! Il pas été répété.

Au retour à Nancy, une haie de curieux a escorté nos troupes et poussé à pleins poumons le cri de : Vive l'armée! Ces cris étaient surtout nourris place Carrière, au moment où défilaient, devant le palais du gouvernement, le 4e bataillon de chasseurs, le 26e et le 69e d'infanterie.

Le 4e chasseurs a fait la grande halle à la caserne Thiry, avant de reprendre la route de Saint-Nicolas.

P. S. — Deux légers incidents ont marqué la fin de la revue. Ils ont passé d'ailleurs à peu près inaperçus et on ne peut en rendre responsable que la chaleur, qui échauffait un peu les têtes. Elle compliquait en même temps la tâche des gendarmes, qui, pour exécuter leur consigne, étaient obligés de déployer une certaine énergie que des civils, peu pressés de reculer, prenaient à tort pour de la brutalité.

Un bicycliste, serré de près par un brigadier de gendarmerie, se gendarma au point de l'appeler Pandore, au lieu de répondre, comme il l'aurait dû : « Brigadier vous avez raison ». Il dut aller passer quelques minutes au commissariat de police.

L'autre incident consiste également en quelques paroles vives adressées par un conducteur de break à un gendarme. Comme il ne s'agit, dans l'un et l'autre cas, que d'un mouvement d'humeur non prémédité, il est à supposer que ces incidents n'auront pas de suites.

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Le 4e bataillon de chasseurs a quitté la caserne Thiry, samedi, à cinq heures du soir, pour regagner Saint-Nicolas.

Le 69e avait été chargé de recevoir les « vitriers », ce dont il s'est acquitté à la complète satisfaction de ses hôtes.

Les sous-officiers du bataillon ont pris leur repas dans la grande salle du mess des sous-officiers du 69e. Une collation suivie du « jus » traditionnel avait été préparée pour les hommes.

Les lits ont été dédoublés et les chasseurs ont pu prendre un léger repos, étendus côte à côte avec leurs camarades de la ligne.

Une répétition générale de la fête du 69e, fixée à lundi, a eu lieu ensuite dans une des cours de la caserne pour la plus grande joie des de tous.

Un seul accident grave, causé par l'extrême chaleur, est arrivé au bataillon ; en passant la grille de la caserne Thiry, le chasseur Reynal, de la 2e compagnie, est tombé frappé d'une insolation. Transporté à l'infirmerie, ce militaire a dû être ensuite dirigé d'urgence sur l'hôpital

La retraite aux flambeaux

Toujours passionnés des retraites aux flambeaux, les habitants de notre ville commençaient dès neuf heures du soir à envahir l'hémicycle de la Carrière et les abords du palais du gouvernement, dont la rampe de gaz était allumée. La foule, toujours croissante, circulait sur la promenade de la Carrière, dont les murs et les trottoirs servent bientôt de sièges à de nombreux auditeurs qui attendent ainsi patiemment l'heure de la retraite.

Dans les groupes on remarque quantité de militaires. A neuf heures et demie précises, tambours, clairons et trompettes sonnent successivement « aux champs ». Les derniers accents terminés, les cris unanimes de « vive l'armée » sont poussés et chaque fois que les musiques auront donné les dernières mesures des morceaux que nous avons indiqués, les mêmes cris, toujours plus nourris, se feront entendre.

Entre temps, des feux de bengale sont allumés, jetant sur la foule leurs lueurs multicolores.

Enfin la retraite est sonnée, la dislocation commence ; chaque musique regagne la caserne entraînant chacune à sa suite une foule considérable, donnant ainsi une animation inaccoutumée à nos rues.

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Le général Hervé est parti dimanche matin pour Lunéville où il va inspecter la division de cavalerie.


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