BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain du vendredi 1er juin 1906

La revue du 20e corps

Liens les cartes de Nancy hier

Voir les cartes postales sur Nancy hier

Paris, 31 mai 1906.

La non-venue à Nancy du ministre de la guerre a bien pour cause initiale les difficultés budgétaires. Elles sont très considérables.

Que certains personnages de l'extrême-gauche soient satisfaits que M. Étienne ait renoncé à ce voyage, il n'y a pas doute.

Le petit clan antimilitariste de Nancy a fait probablement savoir qu'après l'élection du général Langlois, une revue présidée par « le ministre lui-même » semblerait un encouragement au « nationalisme ».

Mais la question financière reste au tout premier plan. Elle est très grave, et elle se complique de l'orientation à adopter: proposera-ton l'impôt sur le revenu comme «un nouvel impôt », ou, ainsi que le demande M, Poincaré, comme un impôt mis en remplacement de deux des quatre contributions directes.

On ne prévoyait pas, il y a deux ou trois jours, que la question financière exigerait quatre séances du conseil des ministres en une seule semaine. — B, D.

_____

Le ministre de la guerre a eu l'attention d'adresser au général Bailloud, commandant le 20e corps, au plateau de Malzéville, un télégramme ainsi conçu :

« Les palmes académiques sont décernées au lieutenant-colonel Gérôme, à l'occasion de la revue de Malzéville. »

On sait que M, le lieutenant-colonel Gérôme est le sous-chef d'état-major du 20e corps.

Avant la revue, à Nancy

Jeudi, 6 heures du matin. — Dans la banlieue, les cantonnements s'emplissent de rumeurs. Le bienfaisant café est apporté dans les quarts.

A travers les rues, c'est un va-et-vient incessant de corvées diverses.

La journée s'annonce comme devant être très belle, tempérée par un petit vent frais.

Et dans les casernes de Nancy c'est également la grande animation du branle-bas des jours de revue.

Le long des escaliers sonores retentissent des appels, des objurgations, des ordres.

*

*   *

Dans nos rues, c'est un va-et-vient continu ; les bicyclistes militaires sont nombreux ; on voit aussi quelques officiers, — en bonnet de police, — des régiments de Toul qui ont cantonné à Malzéville et dans les autres villages.

*

*   *

Aux balcons de l'hôtel de ville flottent plusieurs trophées de drapeaux, en l'honneur spécialement du 20e corps, dont les officiers se réuniront au Cercle, place Stanislas, ce soir, en même temps qu'il y aura une retraite aux flambeaux.

Au reste, plusieurs de nos concitoyens, ayant sorti leurs drapeaux, n'ont pas voulu les retirer, malgré le contre-ordre du voyage ministériel.

Les trois couleurs, claquant au vent, augmentent la gaieté des rues.

Il serait à souhaiter que Nancy prît l'habitude de pavoiser les jours de fête.

On pourrait s'y mettre à l'occasion du tout prochain grand Concours de Tir, et aussi, du Concours agricole, qui s'ouvriront dans dix ou quinze jours.

A la gare

La gare présente une animation aussi grande que celle des jours de fête.

Les trains sont littéralement bondés de voyageurs.

Disons en passant que le désappointement du publie fut grand, très grand même lorsqu'il apprit que M. Étienne n'assisterait pas à la revue du plateau.

A noter une conversation entendue devant le bureau de poste de la gare, où un habitant de Nancy vient d'accoster des parents venus par le train de Conflans.

— Vous savez, dit-il, le ministre ne vient pas ?

— Comment ? le ministre ne vient pas ?

— Non.

— Pourquoi ?

II y a conseil des ministres .aujourd'hui et il doit y discuter avec son collègue des finances son projet de budget.

— Il devait bien le savoir avant.

— Sans doute.

— Ça, c'est encore de la politique.

*

*   *

Et les conversations continuent sur ce thème.

A la station de la gare des rues Crampel et Piroux, il n'y a plus une seule voiture de place. Toutes ont été louées à bons prix, par des personnes qui voulaient assister à la revue.

Quelques instants avant l'arrivée de l'express de 1 heure 37, l'automobile 910, conduite par un lieutenant du 8e d'artillerie, vient se ranger devant la porte principale de la gare.

A l'intérieur du véhicule se trouve un commandant du même régiment, qui, mettant pied à terre, se dirige vers le quai.

L'automobile est vivement entourée par. une foule compacte ; les commentaires vont bon train.

Enfin, l'express annoncé entre en gare et bientôt un personnage décoré que l'on sait être le maire d'Alger, ami personnel du général Bailloud, saute en bas d'un wagon ; il est reçu par le commandant d'artillerie qui le conduit à l'automobile.

La voiture se dirige ensuite vers le plateau.

La marche des troupes vers le plateau

Nous avons donné, dans tous ses détails, l'ordre de marche des troupes vers le plateau de Malzéville. Nous n'y reviendrons donc pas. Bornons-nous à constater que cette marche a été effectuée ponctuellement, sans le moindre « à coup ».

Un peu après onze heures, toutes les voies d'accès aboutissant au terrain de la revue étaient sillonnées par les régiments qui allaient prendre leurs positions.

L'exode des curieux

Comme, sans être grand prophète, on pouvait s'y attendre, la revue du plateau de Malzéville a donné lieu à un véritable exode de la population nancéienne. Bien des administrations, bien des ateliers ont chômé et, dès neuf heures, neuf heures et demie, nos concitoyens et concitoyennes gravissent les chemins qui mènent au terrain de la revue, passant soit par la rue d'Eulmont, à Malzéville, soit par le chemin stratégique. Mais c'est surtout à partir de onze heures que les chemins commencent à être encombrés. Les premiers arrivés, placidement assis à l'orée du bois, sourient des faces congestionnées qui se succèdent à leurs pieds et entament déjà les provisions.

Et les voitures affluent. Les tramways sont pris d'assaut, débordés.

On peut dire que tous les véhicules disponibles de Nancy ont été mis à contribution et on a même exhumé, pour la circonstance, de vénérables guimbardes, qui croyaient bien être reléguées à jamais dans le coin obscur de quelque remise.

A travers le paysage pittoresque : vergers fleuris d'où viennent de bonnes odeurs et, au loin, le panorama splendide de Nancy miroitant sous le soleil, on arrive au plateau où tout chacun cherche à se porter, bien entendu, aux emplacements les plus favorables pour pouvoir admirer le majestueux spectacle militaire.

Est-il besoin d'ajouter que, dans la foule des spectateurs, on remarque un certain nombre d'officiers allemands, facilement reconnaissables ? Les Messins sont aussi légion.

Le rassemblement des troupes

Cependant, les troupes se massent. Ici, ce sont les lignes de l'infanterie, les sombres chasseurs à pied, le bataillon du génie.

Près de la ferme Sainte-Geneviève est rassemblée la 2e division de cavalerie indépendante.

On reconnaît la moustache blanche du général Cherfils, en avant de ses dragons des 8e et 9ee régiments.

La foule

Et il arrive toujours des spectateurs. De tous les coins de l'horizon, on voit déambuler des voitures, des groupes serrés de piétons.

Tout le monde est joyeux, heureux de vivre, sous le ciel clair.

Le général Pamard

La silhouette d'un officier général se détache. C'est le général Pamard, commandant la division de Toul, qui va présenter les troupes au général Bailloud.

Le général Pamard a fière allure. Sur sa poitrine brille la plaque de grand-officier de la Légion d'honneur.

Et le spectacle est unique de tout ce corps d'armée réuni, dans sa noble attitude de discipline, de toute cette « jeunesse de France », si vaillante, prête à toutes les bravoures, à tous les sacrifices.

La formation des troupes

La formation des troupes est la suivante :

1re LIGNE

(face au sud est)

TROUPES A PIED

1er Officiers sans troupe (armée active, réserve et territoriale).

2° Peloton de sapeurs cyclistes.

3° Compagnies cyclistes des 2e et 4e bataillons de chasseurs.

4° 20e bataillon du génie.

5° État-major de la 11e division.

6° 21e brigade d'infanterie (2e et 4e bataillons de chasseurs, 26e, 69e, chaque régiment formé en colonne double).

7° brigade (37e, 79e).

8° État-major de la division.

9° 77e brigade (146e, 153e).

10° 78e brigade (156e, 160e).

2e LIGNE

(face au sud-ouest)

ARTILLERIE

1er État-major de l'artillerie du 26e corps d'armée.

2° 8e régiment d'artillerie, en lignes de colonnes, chaque batterie formée en colonne par section.

3° 39e d'artillerie, même formation.

4° Batteries de la 2e division de cavalerie, même formation.

3e LIGNE

(face au nord-ouest)

CAVALERIE

1er 20e brigade de cavalerie en ligne de masse.

2° 2e division de cavalerie, même formation.

Ce dispositif est excellent.

LA REVUE

L'arrivée du général Bailloud

2 heures. — La sonnerie du «garde à vous » retentit. M. le général Bailloud arrive sur le plateau.

Le général Pamard se porte vivement à sa rencontre et l'accompagne pour lui présenter les troupes.

Le général Bailloud monte un magnifique cheval blanc. Il s'avance, accompagné, seulement du général Pamard, commandant de la 39e division, commandant des troupes, du général Boëlle, chef de l'état-major du 20e corps, et de quelques officiers d'ordonance.

Aucune escorte ne chevauche derrière lui. Il parcourt au galop le front des troupes, dont les dernières lignes se perdent vers le bois d'Agincourt.

Le commandant du 20e corps passe successivement devant, le front des trois lignes.

L'immobilité est très grande. L'aspect est imposant.

On a malheureusement à signaler — il fallait s'y attendre sous un soleil torride — un certain nombre d'accidents occasionnés par la chaleur.

Un clairon de la ligne est notamment tombé, frappé d'une insolation et a dû être emporté dans l'ambulance la plus voisine.

On disait son état grave.

Le défilé

La revue terminée, les troupes évoluent maintenant pour prendre les dispositions préparatoires au défilé.

Toutes les unités serrent sur le bois de Flavémont, de manière à donner plus de champ à ce défilé.

Toutefois l'artillerie et la cavalerie restent sur place et ne se forment en colonnes pour le défilé qu'au moment de se mettre en marche.

Le général Bailloud se tient à hauteur du fanion blanc.

Le défilé à lieu dans l'ordre suivant :

Peloton des sapeurs cyclistes ;

Compagnies cyclistes des 2e et 4e bataillons de chasseurs ;

Fanfares des 2e et 4e de ces bataillons ;

Général Pamard, commandant des troupes, suivi du commandant Baland, chef d'état-major de la 39e division ;

2e et 4e bataillons de chasseurs ;

20e bataillon du génie ;

Général Pistor, commandant la 11e division ;

21e brigade ;

22e brigade ;

Général Crémer, commandant provisoirement la 39e division ;

77e brigade ;

78e brigade.

Toutes ces troupes défilent « en colonne double ».

Les musiques d'infanterie groupées par brigade.

Le défilé de l'artillerie montée a lieu au trot, en colonne serrée.

La cavalerie défile au galop dans l'ordre suivant : 20e brigade et 2e division de cavalerie.

On remarque, avec curiosité, un escadron de chasseurs à cheval de Lunéville, coiffé du nouveau casque de la cavalerie.

L'artillerie à cheval, de la 2e division de cavalerie, défile avec sa division.

De multiples acclamations accueillent le défilé. Particulièrement applaudis, les chasseurs à pied, les cyclistes et le génie.

La marche en masse

De suite après le défilé, chaque unité va prendre sa formation pour la « marche en masse ».

Au centre: le 20e bataillon du génie ; à sa gauche, la 11e division, le 2e bataillon de chasseurs et une compagnie, cycliste ; à sa droite (du bataillon du génie), la 39e division, le 4e bataillon de chasseurs et une compagnie cycliste, les musiques et batteries réunies par division ; derrière, les bataillons de chasseurs, avec les fanfares de ceux-ci.

En avant du front :

A 10 pas, les drapeaux et leurs gardes ; à 20 pas, les colonels ou chefs de corps ; 30 pas, les états-majors de brigade ; à 40 pas, les états-majors de division ; à 50 pas, le général commandant les troupes.

Artillerie. — A 800 mètres en arrière de la formation d'infanterie, le 8e à gauche, le, 39e à droite, 2 batteries (une du 8e, une du 39e), sur les flancs mêmes de la formation d'infanterie.

Cavalerie. — En formation serrée derrière le dispositif de l'infanterie, entre cette dernière et l'artillerie.

Mise en batterie

Sur l'ordre du général commandant les troupes, les 2 batteries (une du 8e une du 39e), placées sur les flancs de l'infanterie se mettent en batterie sur la crête : celle du 8e contre le bois de Flavémont, celle du 39e ; sa droite appuyée à l'allée des Pommiers : elles exécutent un tir rapide de dix coups par pièce, puis amenant les avant-trains, elles vont reprendre leur place dans la formation serrée d'artillerie.

En avant

Immédiatement après la sonnerie de : « Garde à vous », les troupes mettent l'arme sur l'épaule droite, et, au signal du général commandant les troupes, répété par les officiers généraux et les chefs de corps, cette masse composée de 2 divisions d'infanterie (ensemble 24 bataillons d'infanterie), 2 bataillons de chasseurs à pied, 1 bataillon du génie, 2 compagnies cyclistes, formant un total arrondi de 13,000 hommes, s'ébranle aux sons de la « charge », exécutés par toutes les musiques et les fanfares.

Cette masse s'arrête sur l'alignement des deux fanions tricolores placés â hauteur de la ferme de Malzéville.

La chevauchée. — La marche de l'artillerie

Puis l'infanterie dégage le terrain en déboitant à droite et à gauche, pour faire place à la cavalerie, qui s'avance au galop dans une superbe chevauchée. Enfin l'artillerie, partie en bataille à intervalles serrés derrière la cavalerie, franchit la crête au trot et vient s'arrêter entre les 11e et 39e divisions d'infanteries.

Tous ces mouvements ont été exécutés avec la plus grande correction, devant un public-enthousiaste qui n'a pas cessé ses vivat et ses applaudissements les plus chaleureux

Le défilé, bien que très difficile à exécuter dans cette formation, a été très bon.

Toutes les armes, tous les corps ont rivalisé de zèle et d'entrain.

La marche en masse a été absolument impressionnante.

L'attitude des troupes a été irréprochable.

En somme, excellente journée, spectacle réconfortant.

Ce qu'on a acclamé aujourd'hui, c'est l'armée française tout entière, représentée par un corps d'élite digne de son rôle de troupe de couverture et prête à tous les dévouements et à tous les sacrifices pour la France et la République.

L'organisation et la préparation de cette revue font honneur à l'état-major du 20e corps d'armée.

Que de bière

Ce qu'il se consommait de bière jeudi après-midi sur le plateau est inimaginable.

Les principales brasseries de la région avaient fait amener de lourdes voitures chargées de bouteilles.

Et les curieux altérés buvaient à même au goulot, sans prendre le temps de s'assoir sous les tentes en plein vent et les guinguettes installées sur divers points, et littéralement débordées, aussitôt que le spectacle militaire et les acclamations ont eu pris fin.

Il n'y a à y ajouter que quelques détails, qu'à glaner quelques incidents, pour colorer encore le récit de celle belle journée militaire, qui a laissé un excellent et durable souvenir aux innombrables spectateurs de la revue.

Le service d'ordre était impuissant à surveiller cet immense plateau, et comme, d'autre part, l'empressement de la foule se manifestât partout à la fois, l'espace « réservé » s'est trouvé envahi : ç'a été une marée bondissante. Les gendarmes ont voulu faire reculer ce flot, cette trombe, mais c'était bien impossible. Ils durent se borner à dresser procès-verbal à deux particuliers, décidément trop récalcitrants.

Les envahisseurs se comptaient par milliers. Pendant qu'avait lieu la remise des décorations, ils s'avancèrent jusqu'à l'extrême limite — en sorte que, à l'instant du défilé, les spectateurs bordaient les troupes.

Comme ce défilé avait lieu presque au sommet du plateau, le coup d'œil eût été plus intéressant, si les assistants s'étaient tenus à deux cents mètres en arrière. Mais ; c'est un détail, en somme, et, de si près, les soldats ont mieux entendu les ovations qui leur étaient décernées.

On a beaucoup applaudi les troupes, plus, même, qu'on n'a l'habitude de le faire à Nancy, où le public répugne à étaler ses sentiments patriotiques.

Nous avons entendu de jeunes dames crier : « Vive l'armée », et s'étonner que, des voitures environnantes, ne partissent pas les mêmes cris. Cette réserve n'a rien d'insolite à Nancy. En tout cas, les ovations furent nombreuses sur le parcours des régiments.

Dans la plaine, que de petits tableaux vivants ! les groupes se formant autour des débits de bière, les marchands de canettes se glissant avec audace jusque dans les rangs de l'escorte du général en chef ; un de ses hussards attrapant au vol une bouteille, — un débrouillard, celui-là, — les Espagnols marchands d'orange avaient plutôt la clientèle féminine.

Le lâcher de pigeons des « Éclaireurs de Nancy » eut un légitime succès.

Çà et là, des gens assis en plein champ, deux dames, ainsi assises, s'étaient fait un dossier d'un fanion de jalonnement.

Les fantassins ont bonne mine avec leurs couvre-nuque, mais leurs guêtres sont médiocrement ajustées. On voit bien que la chaussure courante est désormais le brodequin. La guêtre n'est plus dans le mouvement ! C'est dommage au point de vue de l'esthétique, la guêtre blanche complétait les trois couleurs.

On s'accorde à ne pas trouver « seyant » le casque d'acier clair et de cuivre mis en essai dans deux pelotons du 18e chasseurs, de Lunéville.

Le Champagne

Quand on sut que le ministre ne viendrait pas, on plaisanta, en ville, sur le sort réservé au Champagne. On avait parlé de huit cents bouteilles. Quoiqu'il en soit, Petit, cantinier du 2e bataillon du 37e chargé du service de la réception, avait bien monté huit cents flûtes. Elles étaient rangées sous les trois tentes dressées à quelque distance de la ferme du plateau, tentes décorées de trophées de drapeaux, avec les tables ornées de fleurs et garnies de gâteaux. — Eh bien, le général Bailloud eut un invité de moins, le ministre, invité de marque certes, mais MM. les officiers du corps d'armée n'en firent pas moins vigoureusement honneur, à l'issue de la revue, au Champagne et aux gâteaux. Il était 4 heures.

La tente du centre avait été réservée aux officiers généraux.

Aucun discours, aucune allocution, seule la nouvelle que nous avons donnée plus haut : les palmes académiques pour M. le lieutenant colonel Gérôme.

*

*   *

Cependant, les soldats se reposaient. Un interminable cortège d'autos et de voitures se formait pour la rentrée. Les gens philosophes devisaient, au grand air, assis sur les talus, ou dans les nombreux replis de terrains formant le plateau. A la ferme, les soldats du génie avaient établi, sur le fossé un pont-estrade, où de nombreuses femmes d'officiers purent se désaltérer.

Après cela, on se désaltérait partout. Le nombre de bouteilles vides abandonnées sur le plateau, est incalculable.

Le retour des troupes

Les troupes sont rentrées suivant l'itinéraire et l'ordre que nous avions annoncés.

Un de nos collaborateurs a fait le tour par les villages. A 4 heures 1/2, on apercevait le 12e dragons, de Pont à Mousson, descendant la pente, vers Lay-Saint-Christophe ou il devait cantonner.

On apercevait aussi, sur la même route, un fort détachement d'infanterie, peut-être du 154e, de Toul, rentrant cantonner à Bouxières-aux-Dames ?— Il faut savoir, en effet, que tous les officiers- n'assistaient pas à la réception du général en chef, sous les tentes du plateau.

Un certain nombre d'officiers avaient été désignés, d'avance, pour ramener les troupes.

A cinq heures, commençait la pluie, orage violent, mais rafraîchissant. Dans Champigneulles, les cuisiniers du 160e (de Toul) achevaient, de préparer le dîner. Un de ces cuisiniers, nommé Marchal, faisait l'émerveillement des Champigneulloises, par sa propreté, sa patience, son entente du métier. Il avait installé son «fourbi» contre les grilles du château, en face du café Roche. Ses bifsteack étaient cuits à point, et il arrivait, à force de soin, à donner une appétissante couleur dorée aux « frites » accumulées dans une grande marmite. — Si ce jeune soldat séjournait là encore deux jours, il y ferait immanquablement des conquêtes.

A Champigneulles, le bal Havette logeait jusqu'à deux cents hommes du 160e.

Le 153e cantonnait au Pont-Fleuri et à Saint-Sébastien. Ce régiment a dû être un des premiers revenus.

Nous espérons que l'ondée n'aura eu aucun résultat fâcheux pour nos braves et vaillants troupiers.

Le dîner

A la suite de la revue, le général Bailloud avait invité les généraux et les colonels du 20e corps à dîner. Ce repas a eu lieu dans la grande salle du restaurant Walter, place Stanislas. Les convives, au nombre de trente, avaient pris place autour d'une table unique, joliment décorée de fleurs et de cristaux.

Le service a commencé à sept heures et quart pour se terminer à neuf heures.

Pendant le repas, la musique du 26e placée sur la place, a joué les meilleurs morceaux de son répertoire.

La retraite anx flambeaux

L'annonce d'une retraite aux flambeaux avait causé une vraie joie aux habitants de Nancy.à ceux surtout que leurs occupations journalières avaient empêchés d'aller admirer nos braves soldats sur le plateau de Malzéville. Ceux-là s'étaient donc promis d'aller entendre, le soir, les musiques de la 11e division sur la place Stanislas.

Aussi, dès huit heures, les curieux remplissant les tramways dévalent vers la place, envahissent les terrasses des cafés ou se groupent autour de la musique du 26e, qui, cette fois, fait face au restaurant Walter. On ne se lasse pas d'admirer les rampes de gaz qui illuminent les bâtiments.

A l'hôtel de ville, le grand salon est allumé, de nombreux édiles sont aux fenêtres.

On remarque avec désappointement que la préfecture n'est pas illuminée.

Dans les groupes, on s'enquiert des raisons pour lesquelles les façades du Grand-Hôtel et de l'évêché ne sont non pas allumées. Quelques-uns attribuent cela à la politique, puis, comme on apprend que les deux rampes ne peuvent fonctionner, on critique avec juste raison la compagnie du gaz de ne pas avoir pris les précautions nécessaires.

Afin d'empêcher la foule d'envahir entièrement la partie de la place qui va du cercle militaire au restaurant Stanislas, une compagnie du 26e, commandée par le capitaine Eyraud, forme la haie, laissant un passage libre.

De chaque côté de la haie qui conduit au grand salon du restaurant Stanislas, deux sergents sont en faction. Cette particularité est très remarquée et fait l'objet de nombreux commentaires.

A neuf heures moins un quart, les musiques, les piquets d'hommes en armes et les porteurs de torches arrivent sur la place, où ils se massent devant le Cercle militaire lui faisant face.

Il va être neuf heures lorsque le général Bailloud se rend au Cercle. A son arrivée sur la place, il est salué par des cris nombreux de : « Vive l'armée ! » Il est véritablement acclamé par la foule.

A l'heure militaire, neuf heures sonnées, les tambours et clairons battent et sonnent la retraite de pied ferme.

Puis les quatre musiques, conduites avec maestria par M. Leblan, chef de musique du 69e, jouent divers morceaux notamment la Marche des chacals, le Père la Victoire, et la Retraite de Crimée. Celle-ci, avec toutes les fantaisies que l'on entend pour la première fois, est très admirée. Aussi est-elle fortement applaudie.

La fanfare du 5e hussards, qui a exécuté la retraite de pied ferme, a également soulevé des applaudissements.Les connaisseurs sachant combien il est dur de souffler dans les instruments après une journée de revue, ont admiré les nombreuses reprises que les trompettes ont exécutées. Une demi-heure qui, pour beaucoup, a été trop courte s'est écoulée depuis la retraite. Sur un commandement, les sous-officiers rassemblent leurs hommes, les piquets se forment et, flanqués par les porteurs de torches, les musiques se disloquent et regagnent leurs casernes respectives par divers itinéraires, suivies par une foule nombreuse.

La place Stanislas se vide ainsi rapidement. On va contempler la décoration de l'entrée du cercle militaire et, peu à peu, Nancy reprend sa physionomie, qui reste cependant beaucoup plus animée qu'à l'ordinaire dans les cafés on s'attarde un peu et à cause de l'armée, chacun a un souvenir du régiment à raconter et l'on s'écoute avec plaisir, car c'est un peu de l'histoire de ses vingt ans que l'on se remémore pour montrer que l'on a toujours confiance dans notre armée, la plus puissante sauvegarde de la France.

*

*   *

Ainsi que nous l'avions annoncé, M. le lieutenant-colonel Ganeval a présenté jeudi soir, au cercle militaire, au général Bailloud, les représentants des corps de troupe qui ont servi sous ses ordres. A cette intention, un brigadier de spahis, un chasseur d'Afrique, un tirailleur algérien, un zouave et un soldat de l'infanterie coloniale avaient été mandé au cercle. Ils ont été chaleureusement félicités par le commandant du 20e corps.

Aussi à leur sortie du cercle, ces militaires étaient-ils très entourés et l'on admirait particulièrement le brigadier de spahis, notable négociant, dont le rouge burnous rappelait, par cette chaude soirée, l'Algérie, notre belle colonie où tant de Lorrains ont servi, qu'ils ont aidé à conquérir.


BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain du samedi 2 juin 1906

Après la revue

Quelques accidents

Un grand break, dans lequel avaient pris place, au retour de la revue, de nombreux officiers supérieurs, a roulé dans un ravin.

Le soldat du train, qui conduisait la voiture, ainsi que les voyageurs qui s'y trouvaient, n'eurent heureusement aucun mal.

Seuls les chevaux furent quelque peu égratignés. Quant au véhicule il fut en partie brisé.

Vendredi matin, la voiture a été amenée dans un piteux état aux ateliers de réparations.

*

*   *

Jeudi, au retour de la revue, M. Bouvier, de Malzéville, a reçu en pleine poitrine une ruade cheval monté par un officier supérieur. On ne peut encore se prononcer sur les suites de l'accident.

A la préfecture et à l'hôtel de ville

La malice publique s'est intéressée à ce double fait :

D'une part, le préfet a fait enlever le trophée de drapeaux de son balcon, mercredi, à 6 heures du soir, quand il a su que le ministre ne venait pas.

D'autre part, jeudi matin, on voyait des tapissiers poser des trophées de drapeaux aux balcons de l'hôtel de ville.

On a voulu apercevoir là comme une double démonstration en sens inverse.

Sans être ni dans le secret de la préfecture, ni dans celui de la municipalité, nous croyons qu'il y eut plutôt une simple coïncidence, amusante, sans doute, mais non « voulue ».

Voici comment les choses ont dû se passer :

Mercredi, le préfet, — qui n'avait personne à consulter en l'espèce — demande les tapissiers pour poser des drapeaux dès l'après midi, afin de donner l'exemple.

Bien. On pose le trophée. Mais, une heure après arrive le contre-ordre télégraphique.

Alors (dit le préfet), démontez les drapeaux.

Que s'était-il passé dans la maison voisine ?

Le maire a consulté ses adjoints, mercredi, probablement. — La municipalité a décidé de mettre des drapeaux.

Ordre transmis au tapissier de la ville par le secrétariat, qui (les journaux le savent) envoie souvent ses plis à cinq heures du soir.

Le tapissier se dit : « Bon. On ira demain matin ».

Et on y fut le lendemain matin, jeudi.

Que le ministre vint ou ne vint pas, le tapissier de la Ville n'avait pas à s'en occuper. On lui demandait des drapeaux, il les fournissait.

La municipalité, de son côté, a évidemment considéré que son devoir était de pavoiser quand même, d'autant que la place Stanislas serait illuminée le soir, qu'il y aurait musique, réception au cercle militaire, etc.

Tandis que la préfecture n'est pas sur la place.

Il nous semble que le simple raisonnement conduit à ces conclusions.

Mais, bien entendu, il se peut que les « finauds » persistent à croire qu'à une démonstration de la Préfecture, la Ville a répondu par une autre.



Albums de cartes postales
Fêtes et manifestations
Guerre 1914-1918
Webmaster - Infos
Ecrire à Grouillot