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L'Est républicain du lundi 12 juin 1911

Le feu à la foire de Nancy

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Deux établissements sont brûlés avec une effrayante rapidité

Dimanche, vers cinq heures trois quarts de l'après-midi, au moment où la chaleur du jour commençant à diminuer, une foule considérable déambulait joyeusement sur la place Carnot et le cours Léopold, on entendit soudain retentir le cri sinistre de « au feu ! »

— C'est un théâtre ! disaient les uns.

— C'est un cinéma ! disaient les autres.

— On retire les morts. C'était plein de monde ! ajoutait un troisième.

On juge de l'émotion qui étreignit alors toutes les poitrines. Ce fut un moment d'angoisses inexprimables, dans le tohubohu de l'effarement, dans l'incertitude, dans les bousculades.

La rapidité du feu

Une éruption, une explosion, seules, peuvent donner une idée de l'apparition brutale des flammes.

Ce fut, vers le ciel, comme la poussée d'un feu dont la force captive vient soudain de faire sauter les cloisons qui l'emprisonnent.

Une gerbe gigantesque de flammes bondit vers le ciel parmi les frondaisons des arbres.

C'était le Palais des Beaux-Arts qui brûlait et le sinistre se propageait bientôt aux établissements voisins, embrasant l'espace occupé entre l'allée centrale, l'allée latérale aux tramways, la place Désilles et le prolongement de la rue du Haut-Bourgeois d'un côté et la rue Baron-Louis de l'autre.

Sur cet emplacement longeant l'allée centrale s'élevaient deux grands établissements, le Palais des Beaux-Arts, dont le propriétaire est M. Aspect, et le Théâtre Hollandais, appartenant à M. Cohen.

Les autres faces du carreau étaient des loteries, confiseries et autres plus modestes industries.

Comment le feu a pris

Pendant toute l'après-midi de dimanche, tous les industriels avaient bien travaillé ; les établissements avaient reçu de nombreux spectateurs et le public s'était empressé auprès des éventaires des forains.

Il était exactement 5 heures 40 lorsque, dans le Palais des Beaux-Arts, dont l'enceinte était pleine, se déroulait le dernier film du cinématographe, qui devait clôturer une représentation, lorsque, tout à coup une étincelle provoquée par un court-circuit se produisit dans la cabine, où se trouve l'opérateur du cinématographe. L'étincelle toucha le « film ». Celui-ci, en celluloïd ; matière essentiellement inflammable, flamba aussitôt, propageant le feu aux autres films.

Bien que la cabine fût construite en tôle, comme cela est prescrit par le règlement, les flammes sortirent par les diverses interstices, léchèrent les tentures voisines et eurent bientôt fait de prendre feu.

Mais le danger avait été aperçu à temps.Les spectateurs purent sortir assez rapidement pour que l'on n'ait pas à enregistrer d'accident.

Les secours

Dès le début de l'incendie, le poste de pompiers de la foire avait été prévenu et par leur téléphone, la caserne était avertie.

Les sapeurs-pompiers, sous les ordres des lieutenants Collignon et Pothu, arrivèrent rapidement avec les pompes automobiles, qui furent mises en batterie avec toute la célérité possible.

Mais déjà la foule était accourue autour du Palais des Beaux-Arts. Les curieux, en rangs compacts, empêchaient les manœuvres des sapeurs qui ne pouvaient déployer leurs courses.

Pendant ce temps, les flammes continuaient leur œuvre dévastatrice. Les toiles des loges flambaient, le Théâtre Hollandais prenait feu à son tour et le sinistre continuait à se propager et envahissait les théâtres voisins.

Les agents de police accouraient, commandés par M. Lienhardt, commissaire de police, et M. Flury, commissaire central. Ils arrivaient, avec l'aide de la troupe, à organiser un service d'ordre permettant enfin aux pompiers de procéder à leurs manœuvres.

Bientôt des torrents d'eau furent projetés sur l'incendie, qui embrasait alors toute l'étendue du carreau.

Après deux heures de travail, les sapeurs-pompiers, qui s'étaient absolument prodigués, étaient entièrement maîtres du feu et n'avaient plus à arroser que les décombres fumants.

Les dégâts

Des deux théâtres forains, il ne reste plus que des barres de fer tordues par les flammes, les carcasses de tôle de deux voitures foraines, ainsi que les machines entièrement mises hors d'usage qui produisaient l'électricité pour chacune des loges.

Les autres tentes et éventaires contigus avaient été également la proie des flammes.

Voici l'énumération des établissements détruits avec le chiffre des pertes pour chacun d'eux :

Palais des Beaux-Arts, propriétaire M. Aspect, pertes 60.000 fr., assuré ;

Théâtre, Hollandais, propriétaire M. Cohen, pertes 25.000 fr., assuré ;

Loterie de vaisselle, propriétaire M. Poisunet, pertes 15.000 fr., non assuré ;

Confiserie, propriétaire Van de Brungerie, pertes 8.000 fr., non assuré ;

Panorama, propriétaire M. Levergeon, pertes 8.000 fr., assuré ;

Loterie, propriétaire M. Jules Faès, pertes 1.000 fr., non assuré ;

Pommes de terre frites, propriétaire M. Robba, pertes 500 fr., non assuré ;

Loterie, propriétaire M. Porté, de Nancy, pertes 300 fr., assuré ;

Confiserie, propriétaire M. André, pertes 200 fr., assuré ;

Loterie, propriétaire M. Chéry, pertes 20 fr.

Soit un total de 123.000 fr., dont une partie n'est pas assurée.

Les flammes ont également atteint les branches des arbres, qui ont beaucoup souffert.

Les autorités

Sur les lieux du sinistre, on remarquait MM. Bonnet, préfet ; plusieurs conseillers municipaux, les colonels Duplessis, du 69e ; Heimez, de la 20e légion de gendarmerie ; le médecin-major Boppe, le capitaine de gendarmerie Henquin, l'adjudant Bronet, commandant les gendarmes qui ont coopéré au service d'ordre.

Les précautions

Aussitôt que les pompiers se furent retirés, on organisa autour du quadrilatère rempli de décombres un système de clôture au moyen de palissades se trouvant le long de l'allée du tramway.

Une haie de soldats fut ensuite établie afin d'empêcher qui que ce fut d'approcher, car parmi les débris se trouvent des objets de valeur et les recettes de la journée des divers industriels.

Pour montrer combien l'intensité du foyer fut grande, il suffira de dire que la recette laissée dans un tiroir a été fondue et que le tout a été retrouvé à l'état de lingot.

Les premiers sauveteurs

Au moment où le feu était aperçu du dehors, un brave caporal du 4e bataillon de chasseurs à pied, qui se trouvait au Palais des Beaux-Arts avec quelques chasseurs de son bataillon, se hâta, avec ses camarades, d'arracher les toiles et facilita ainsi la sortie des spectateurs. MM. Robin, officier de paix, et Parisse, brigadier de police, se trouvaient précisément dans ces parages.

Voyant que le cinématographe Cohen allait à son tour prendre feu, ils en firent sortir sans panique ni bousculades tous les spectateurs.

On put aussi sauver l'orgue.

Près du Palais des Beaux-Arts se trouvait la loterie Fahès. Mme Fahès, qui faisait marcher au même moment le petit chemin de fer, partit affolée vers sa roulotte, où elle savait son enfant, un bébé de six mois, endormi.

Un courageux militaire du 26e, prévenu du danger que courait l'enfant, dans la voiture qui commençait à flamber, se précipita au milieu des flammes et réussit à le sauver

De leur côté, un employé de la ménagerie, Julius, des Arènes, et quelques autres forains du voisinage, se prodiguaient.

Les pillards

Mais si l'on a, comme toujours en de pareilles circonstances, à signaler des actes de dévouement, l'on a aussi à flétrir les gens sans aveu qui ont profité du désarroi pour voler toutes sortes de marchandises

Plusieurs de ces tristes individus ont été arrêtés et mis à la disposition de M.Lienhardt, commissaire de police du 4e arrondissement.

Les blessés

Il y a eu malheureusement quelques victimes, mais aucune n'est en danger. Ce sont : M. Schlachter, pompier, qui s'était bravement avancé dans le cinématographe en feu. Il a été blessé sur diverse parties du corps ; M. Arthur, jardinier, âgé de 26 ans, demeurant 10, rue du Tapis-Vert, qui a subi un commencement d'asphyxie.Il est tombé en syncope et l'on a dû le transporter au poste des pompiers, où on lui a donné des soins. M. Henri Cordier, soldat au 79e, qui fut atteint par une planche qui lui a fait une forte blessure à la jambe droite, et le mécanicien du cinématographe qui a été brûlé aux mains.

Pendant toute la durée du sinistre, une foule énorme n'a cessé de stationner aux alentours et toute la soirée les curieux sont venus en grand nombre autour des palissades contempler les tristes débris de ce qui étaient, auparavant des lieux de joie et d'amusements.

Pour les sinistrés

Dimanche soir a eu lieu une réunion des forains en vue de l'organisation d'une kermesse destinée à venir en aide aux sinistrés non assurés.

Mme Piège aurait promis le concours de ses artistes et la municipalité de Nancy donnerait volontiers son patronage


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L'Est républicain du mardi 13 juin 1911

L'incendie de la Foire

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Mesures nécessaires de prévention

Création de bouches d'eau

1911 Le feu à la Foire de Nancy

Le feu à la foire de Nancy - Dimanche 21 juin 1911.

L'accident de dimanche, qui eût pu, quelques instants plus tôt, être une catastrophe, appellera inévitablement l'attention sur certaines mesures de prévoyance indispensables.

Peut-être conviendrait-il de créer sur le champ de foire même, à des points relativement rapprochés, des bouches d'eau d'une utilisation rapide et directe, mais dont l'emploi, il faut le reconnaître, exigerait encore une perte de temps inévitable pour le montage et le développement des courses et des lances.

Il faut donc aviser à un mode plus immédiat, plus individuel, d'attaquer un commencement d'incendie, en se rappelant le mot du colonel Pâris, des sapeurs-pompiers de Paris : « J'aime mieux une carafe d'eau au début d'un sinistre, qu'une pompe à vapeur un quart d'heure après. »

Or, il se fabrique à très bas prix des pompes à main, analogues par leurs dimensions et leurs formes aux pompes utilisées pour le lavage des voitures, des jambes des chevaux et l'arrosage des jardins : posé dans un, seau d'eau quelconque, ce petit engin projette l'eau à une dizaine de mètres. Le seau vidé est, en une seconde, remplacé par un autre plein.

Les sapeurs-pompiers de Paris, de Nancy et de nombreuses villes, possèdent ces appareils et les emploient journellement avec succès dans les commencements d'incendie, dans les feux de chambre, etc…

II est aisé de concevoir quels services ils rendraient au début d'un incendie comme celui d'hier. Commençant dans la cabine en fer d'un cinématographe, le feu a passé par les interstices de, celle-ci et a gagné la couverture de l'établissement. N'aperçoit-on pas que si l'opérateur ou le personnel avaient eu sous la main la petite pompe dont nous parlons, et à côté d'elle quelques seaux d'eau, la couverture ou toile de la baraque, les matières inflammables environnantes, immédiatement inondées, n'étaient pas gagnées par l'incendie. Et n'aperçoit-on pas aussi, que si tous les établissements voisins avaient eu les mêmes ressources, ils, pouvaient les utiliser et les combiner subitement au profit de leur voisin ou pour inonder eux-mêmes, chacun sa couverture et ses toiles, et parer à la propagation du fléau.

Il serait donc nécessaire, pour la protection du public dans les établissements forains et pour celle aussi de ces établissements et de leurs propriétaires, qu'un arrêté municipal imposât à tous, suivant leur importance, la possession d'un ou plusieurs de ces modestes appareils, et l'entretien à des emplacements déterminés de la baraque, d'un certain nombre de seaux d'eau.

Même dans une ville où, comme à Nancy, le service des sapeurs-pompiers est parvenu à réaliser des prodiges de rapidité et, d'adresse, l'institution de moyens de premier secours sur place, conserve toute son importance et tout son intérêt.

On ne peut songer à créer dans chacun des établissements éphémères d'une foire annuelle, les installations de premier secours qui existent dans nos théâtres, ni à y organiser une permanence de sapeurs-pompiers.

Du moins, une sérieuse sécurité résulterait-elle de l'arrêté municipal qui imposerait à chaque spectacle forain la possession d'une ou plusieurs pompes à main, vérifiées à l'ouverture et pendant la durée de la foire, par les sapeurs-pompiers, et l'entretien de quelques seaux pleins d'eau, régulièrement contrôlé par des inspections de la police.

Ai-je besoin d'ajouter que la possession, par les forains, de ce matériel rudimentaire, transporté par eux dans des localités où souvent, les secours contre le feu sont lents et imparfaits, leur serait une garantie précieuse contre les risques d'incendie ?

G. B.

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Une importante réunion chez les forains

Souscription pour les victimes

Les industriels forains ont tenu lundi, à midi, une importante réunion, dans la salle de spectacle du Laar. Le bureau se composait de MM. Touttefer et Borgniet, présidents ; Lacroix, secrétaire ; Demagny, trésorier, et Marot-Ferrari, membres.

La nomination des deux commissions désignées la ville, a été ratifiée, ainsi que le mandat dont elles sont respectivement investies, soit pour les démarches auprès de la municipalité et de la presse nancéiennes, soit pour l'organisation des quêtes, collectes, souscriptions, etc…

On décide qu'une table avec deux plateaux sera installée le jour même, non loin de la place Carnot. Un aveugle, tout près, sollicitera la charité publique et il ajoutera cette obole aux fonds qui proviendront d'une première quête chez tous les forains sans exception.

Le débat est ouvert sur les meilleurs et les plus prompts moyens de venir en aide efficacement aux sinistrés. Ceux-ci ont besoin, en effet, de secours immédiats.

M. Lacroix, secrétaire, propose que la moitié des bénéfices d'une journée de vente — vendredi prochain, par exemple — soit versée par les entrepreneurs de spectacles et les marchands.

M. Touttefer s'affirme partisan de la publication des versements. D'autres forains blâment cette opinion :

— Nous ne tenons pas à faire connaître le chiffre de nos affaires, même si l'on n'exerce aucun contrôle et si l'on s'en rapporte à la bonne foi des souscripteurs. Enveloppons notre argent dans une feuille de papier et remettons-la ainsi au comité.

— Non ! répliquent des contradicteurs... Il faut, dans un but philanthropique, spéculer jusque sur l'orgueil de ceux qui tiendront à opérer un plus généreux versement.

On vote. Les noms des souscripteurs ne seront pas livrés à, la publicité, mais seulement le total des sommes encaissées.

Quelqu'un propose de solliciter une prolongation de huit jours. Moyennant quoi, les forains se cotiseraient pour former une cagnotte aux sinistrés. Mais, hélas ! cette idée de prolongation possible est rejetée avec force. La plupart des « métiers » doivent débuter à Amiens le 24 juin.

MM. Touttefer et Lacroix examinent l'éventualité de représentations de gala au cirque, à l'Hippo-Palace et dans les principaux établissements du champ de foire.Un employé de commerce, présent à la réunion, dit que ses camarades appuieront ce projet, que la municipalité et la presse s'associeront pour obtenir un excellent résultat, que les artistes abandonneront volontiers leur cachet et que cette manifestation de solidarité sera couronnée d'un succès éclatant.

Mme Piège et M. Van Munster ont adhéré sans réserve à cette proposition. Des soirées auront donc lieu mercredi prochain au cirque et au manège de l'Hippo-Palace avec un programme spécial. La recette sera versée aux victimes de l'incendie.

— A Angoulême et à Dunkerque, dans des circonstances analogues, la population a témoigné sa sympathie à notre œuvre, déclare un forain... Nancy possède une réputation de générosité qui ranimera l'espoir dans tous les cœurs attristés par la catastrophe d'hier. »

M. du Laar exprime le désir que l'assistance donne à deux délégations le mandat d'agir à leur guise, pour sauvegarder les intérêts en cause.

— Non ! réplique M. Lacroix... Il faut se soustraire aux critiques... Exercez au besoin un contrôle, messieurs, afin qu'on n'accuse point les délégations, plus tard, d'avoir suivi leur caprice au lieu d'exécuter votre volonté ! »

La séance est levée à midi et demi.

Au résumé, on a confirmé leur mandat aux commissions de la veille ; on adresse un appel à la municipalité, à la presse, au commerce aux clients ordinaires de la Foire ; on préparera des représentations exceptionnelles pour mercredi ; on décide que les marchands feront une quête aujourd'hui même et qu'ils prélèveront moitié de leurs bénéfices vendredi prochain pour alimenter la caisse de secours.

Est-il besoin d'ajouter, en ce qui concerne la participation de la presse, que l'Est républicain s'associe, dans cette douloureuse occurrence, à toutes les initiatives.

Achille LIÉGEOIS.


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L'Est républicain mercredi 14 juin 1911

L'incendie de la Foire

Les causes du sinistre. — Films  Court-circuit  - Ce que dit M. Discours

Des souscriptions sont ouvertes. Les fonds abondent. Partout les bourses se délient. Des félicitations sont, décernées aux.sauveteurs.Chacun a compris et comprend encore son devoir.

Des personnages officiels et les simples témoins, depuis M. le préfet, les conseillers municipaux, les colonels Duplessis et Heimez, le médecin principal Boppe jusqu'aux simples agents — voire l'agent de la maison Dubonnet, M. Couvât - tout le monde a rivalisé de zèle et de dévouement.

Nous avons la profonde conviction que Nancy séchera les larmes, relèvera les ruines apaisera les tristesses et soulagera les misères provoquées par un sinistre qu'un hasard providentiel réduit fort heureusement à des dégâts matériels.

(Notons, à ce propos, que M. Aspect, contrairement aux informations parues, n'était pas couvert par une compagnie d'assurances pour la perte d'environ soixante mille francs qu'il subit.) Nous sommes de ceux qui sont résolus ne point marchander leur concours, afin que l'aide soit efficace et prompte.

Pourtant, une question se pose :

— A quelles causes faut-il attribuer la catastrophe ?

Les enquêtes ont, dès les premiers moments, établi que les films cinématographiques ont subitement flambé au contact d'une étincelle électrique :

— C'est la faute d'un court-circuit ! Telle fut l'impression générale.

Nous sommes en mesure d'affirmer sur ce point que toutes les constatations justifient entièrement cette impression-là. Mais, suivant que l'on interroge un pompier, un agent d'assurances, un forain, un entrepreneur de spectacles, certaines divergences d'appréciations se manifestent.

M. Discours, qui offre à la salle Déglin des représentations cinématographiques, s'est nettement dérobé aux pressantes questions de notre interview :

— Que vous dirai-je, monsieur ?... Je déplore le sinistre, nous a répondu M. Discours... Mais je ne veux point en indiquer ni en rechercher les causes... On ne manquerait point de mettre sur le compte d'une rivalité de maison, d'une querelle de boutique, l'opinion que je vous exprimerais. Et pourtant...

Nous avons demandé alors à notre honorable interlocuteur de quelles précautions les règlements entourent ordinairement le fonctionnement des appareils cinématographiques : — A Paris, les règlements sont très sévères, déclare M. Discours... Depuis l'incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897, divers accidents, plus ou moins graves, ont motivé des ordonnances auxquelles on est tenu de se soumettre, à peine de procès-verbal. La première contravention coûte 50 fr., la deuxième en coûte 2,000 et la troisième est accompagnée d'un arrêté de fermeture. La préfecture de police ne badine pas !

Alors que les membres d'une commission d'hygiène et de sécurité visitaient de fond en comble, très minutieusement, la construction du cirque Piège, il est fâcheux qu'ils n'aient point porté leur attention sur les conditions défectueuses des autres installations :

— La plupart des cinémas forains, nous dit M. Discours, marchent sans carter. Or, les carters sont nécessaires, indispensables, essentiels. Ils représentent la dépense modeste d'une soixantaine de francs. Seulement, la plupart des opérateurs s'en dispensent parce que l'emploi des carters est pour eux un léger surcroît de besogne.

Qu'est-ce, au juste, que le carter ?

Imaginez un étui métallique, ayant l'apparence d'une mince boîte de conserves. Par une fente étroite pratiquée dans l'épaisseur du cylindre, le film se déroule — absolument comme le mètre à ruban des couturières, puis il va s'enrouler dans un autre carter de même forme et de mêmes dimensions.

— La partie inflammable du film, ajoute M. Discours, n'a guère, par conséquent, qu'une longueur approximative de cinquante à soixante centimètres... Aucun risque ; aucun danger...Quand la « vue » a passé, les bobines de films en celluloïd doivent être placées hors de la cabine cinématographique...

A l'Eden, rue Bénit, les bobines ou rouleaux sont enlevés de cette manière ; à la salle Déglin, la même précaution est prise.

Mais en va-t-il de même pour toutes les salles où ce genre de spectacle jouit d'une légitime faveur auprès du public ?

L'an dernier, aux abords du terrain Blandan, une panique se produisit, à la suite d'un court-circuit, d'un incident assez grave :

— Je suis persuadé que, pour éviter la longueur des entr'actes, pour précipiter la marche d'une représentation, continue notre interlocuteur, bon nombre de forains n'hésitent pas à s'affranchir des mesures de prudence que la municipalité devrait prescrire avec autant de rigueur qu'à Paris.

Ce n'est pas tout.

Les cinémas — celui de la rue Bénit, comme celui de la salle Déglin — sont munis, en outre, d'un dispositif tel qu'en cas d'arrêt brusque de l'appareil, ou par suite d'une étincelle électrique, un écran de sûreté protège automatiquement le rouleau de films.

— Enfin, les opérateurs, conclut M. Discours, ont à leur portée des moyens immédiats de secours ; ils possèdent des gants, du linge mouillé... A la moindre alerte, ils parent aux éventualités.

Quoi qu'il se défende, non sans raison, de livrer ce que j'appellerai les petits secrets du métier, on voit que notre interview a su néanmoins obtenir de M. Discours des renseignements intéressants :

— Ces sortes d'accidents vous causeront quelque préjudice, lui demandons-nous ?

— Oh ! ils ont surtout pour conséquence, dit notre interlocuteur, de priver le public d'un spectacle qu'il aime. Les spectateurs s'éloignent du cinéma ou n'y jouissent que d'une demi-satisfaction, quand ils craignent un incendie.

Le désastre de dimanche, en somme, atteint cruellement l'industrie foraine. Il frappe aussi certains commerçants ; il impressionne le public — ce même public auquel s'adressent ensuite les sollicitations des victimes.

Nous nous garderons comme d'une action basse de préciser les responsabilités, ne voulant point accabler un malheur digne de pitié et de consolation. Au surplus peut-être les précautions indiquées par M. Discours étaient-elles prises. Mais nous réclamons des garanties pour l'avenir.

Que la municipalité n'accepte dorénavant sur le champ de foire que les cinémas assurés contre l'incendie et en règle avec leur compagnie d'assurances !

Gouverner, c'est prévoir.

Aidons les misères d'abord — car il faut courir au plus pressé. Nous examinerons ensuite les réformes qu'il y a lieu d'adopter pour prévenir le retour d'aussi navrantes catastrophes.

Achille LIÉGEOIS.

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Il faut que le public soit à l'abri du danger

Ce que dit un adjoint

A l'hôtel de ville, on s'est naturellement préoccupé, depuis dimanche, des moyens propres à préserver le public contre les périls d'un incendie.

M. l'adjoint François nous a déclaré qu'à l'avenir, l'application des règlements serait extrêmement sévère :

— La plupart des forains, dit-il, se gardent bien de stipuler, quand ils demandent une place, le genre de spectacle qu'ils donneront et ils s'abstiennent surtout d'indiquer la partie cinématographique de leur programme... Ce fut le cas, par exemple, du Palais des Beaux-Arts, qui vient d'être détruit... N'empêche qu'à peine installés, les forains protestent contre le voisinage d'une attraction similaire et nous reprochent très vivement de mettre en quelque sorte les uns sur les autres des établissements qui s'annulent par la proximité des concurrences.

Fidèle à nos habitudes de stricte impartialité, nous exposons à M. l'adjoint François les points principaux de notre conversation avec M. Discours.

— Il y a effectivement, constate notre honorable interlocuteur, sur le champ de foire, un cinéma où les films se déroulent et tombent dans une sorte de caisse en bois, tout près des charbons en ignition d'une lampe électrique.

M. l'adjoint François promet que, sans nul retard, la commission de sécurité visitera les « cinés » et qu'elle agira sans ménagement ni faiblesse.

— Le cirque Piège est dépourvu de lampes de secours à huile, ajoute-t-il. Si un court-circuit plongeait dans les ténèbres toute la salle et si une panique affolait subitement les spectateurs, ce serait terrible !

Les mêmes mesures de sécurité seront donc prises pour le cirque.

Mais M. l'adjoint François escompte surtout les résultats des prescriptions relatives à la création des bouches d'incendie.

— On augmentera également la distance réglementaire de cinquante centimètres qui doit séparer deux établissements voisins. Nous exigerons aussi que les « caravanes », les voitures, soient rassemblées dans une sorte de parc isolé. La plupart des forains consentiront volontiers à payer un léger supplément pour augmenter les garanties de leur sécurité.

D'autre part, si la ville désire tirer un meilleur profit des emplacements, elle n'aura qu'à mettre en adjudication le terrain où s'élève les grands « métiers » ; les finances municipales ne s'en porteront que mieux.

— En tout cas, conclut M. François, rassurez le public et répétez que nous n'hésiterons point à appliquer rigoureusement les mesures nécessaires à la sécurité publique.

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Les représentations au bénéfice des victimes

Une certaine confusion semble se produire dans la publication des dates auxquelles ont lieu les représentations de gala au bénéfice des forains sinistrés.

Voici dans quel ordre elles auront lieu :

Mercredi 14 juin, soirées au cirque Piège et au manège Hippo-Palace, près de la porte Désilles.

Vendredi 16 juin, soirées au théâtre Laar et à la ménagerie Camillius.

La moitié du bénéfice résultant des ventes pendant toute la journée du vendredi 16 sera, en outre, versée à la souscription, par tous les marchands sans nulle exception.

Les Nancéiens s'associeront donc à une œuvre de solidarité corporative et d'assistance philanthropique en assistant aux spectacles dont les programmes, pour la circonstance, seront particulièrement soignés et dotés de numéros sensationnels.

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Nous avons reçu de la Fédération républicaine des étudiants de Nancy la somme de 5 francs au profit des sinistrés.

Tous les fonds de secours qui nous seront envoyés par de généreux lecteurs seront remis immédiatement au comité chargé de soulager les intéressantes misères qu'a faites la catastrophe de dimanche.

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Nous avons successivement étudié divers projets ayant tous pour but de venir en aide efficacement et promptement aux victimes de l'incendie. L'organisation d'une vaste kermesse, une tombola monstre avec les lots que se fussent empressés de fournir la plupart des marchands forains, des retraites cyclistes aux flambeaux qui, parties, musique en tête, des quartiers éloignés de Nancy, eussent opéré à la place Carnot leur concentration, en entraînant derrière elle de nombreux spectateurs — telles sont, en résumé, les initiatives que nous nous proposâmes de réaliser.

Mais ces sortes de réjouissances populaires, sans exiger pour leur préparation un temps fort long, ne peuvent toutefois s'improviser, car elles nécessitent la préalable adhésion de plusieurs sociétés locales.

A notre grand regret, force nous est de renoncer à ces projets. La charité publique trouvera d'ailleurs le moyen de s'exercer utilement dans les programmes de fêtes et de gala que nous citons au début de notre article.

Nous souhaitons aux forains une recette qui justifie la réputation de Nancy, dont la coquetterie s'affirmera de nouveau dans un geste de noblesse et de beauté.

Comme en toutes choses — même les plus graves -— l'humour garde ses prérogatives, on a fait un rapprochement assez naturel entre l'accident qui a détruit le Palais des Beaux-Arts et l'attraction qui s'y exhibait :

— C'est égal ! ont observé les sceptiques malicieux. Pour une voyante experte en l'art de prédire les événements, Mme Blanche de Paunac a manqué une superbe occasion d'annoncer que son théâtre allait brûler et d'en avertir les pompiers deux trois heures avant le feu.

A. L.

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Pour les sinistrés

Mardi soir, on a vidé les deux troncs qui se trouvent posés sur le champ de foire à l'emplacement des baraques incendiées. Il s'y trouvait une somme de 343 fr. 75.

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M. Camillius nous écrit au nom de la commission des forains pour nous demander de mettre nos lecteurs en garde contre les personnes qui se présenteraient à leur domicile en quêtant pour les forains sinistrés.


BmN Kiosque lorrain

L'Est républicain jeudi 15 juin 1911

Échos forains

Pour les sinistrés

Mme Domany-Bambou, la femme du sympathique trésorier d'un groupe lorrain, a été exceptionnellement autorisée par la commission de secours, avec l'agrément de M. le commissaire central, à faire des quêtes en ville.

Nous avons eu l'occasion de visiter l'établissement de M. Touttefer, connu généralement à Nancy sous le nom de « cinématographe Garnier ».

M, Touttefer a bien voulu nous montrer de quelles précautions il entoure ses films, comment il est toujours prêt à employer contre le feu des appareils aussi prompts que simples et sûrs. Les bobines sont entièrement ignifugées. Sceaux d'eau, linges mouillés, couvertures de laine constituent autant de moyens de secours.

Le public peut assister sans nulle inquiétude aux représentations.

Dans le but, de venir en aide aux victimes du sinistre l'Est républicain a édité deux cartes postales illustrées qui seront mises en vente dans les divers établissements de la foire.

Comme il importait d'aller vite en besogne, les Arts Graphiques ont non seulement préparé deux clichés superbes, mais encore ils en ont hâté la préparation — si bien que, dès mercredi soir, la commission de secours pouvait livrer au public plus d'un millier de nos cartes illustrées.

Les libraires, marchands de musique et de souvenirs établis sur la place Carnot et sur le cours Léopold n'ont qu'à s'adresser à la commission pour en obtenir le dépôt.

Les cartes représentent deux photographies des ruines du Palais des Beaux-Arts, du Théâtre hollandais, du « métier » de M. Levergeois, etc…

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Le refroidissement subit de la température a éloigné quelque peu du champ de foire les Nancéiens. Mais une affluence nombreuse s'est portée au manège de l'Hippo-Palace où une partie de la recette était destinée aux sinistrés.

A la fermeture, M. Van Munster, directeur de l'établissement, avait la satisfaction de remettre au comité la somme de 165 fr. 35.

Une somme de 160 fr. 50 a été recueillie dans les troncs placés sur les lieux de l'incendie du champ de foire.

Le Palais des Beaux-Arts

Le 13 juin, M. l'adjoint François déclarait à l'un de nos rédacteurs, à propos de l'incendie de dimanche, « qu'a l'avenir, l'application des règlements serait extrêmement sévère ».

— La plupart des forains, ajoutait-il, se gardent bien de stipuler, quand ils demandent une place, le genre de spectacle qu'ils donneront et ils s'abstiennent surtout d'indiquer la partie cinématographique de leur programme... Ce fut le cas, par exemple, du Palais des Beaux-Arts, qui vient d'être détruit.... Mercredi après-midi, nous avons reçu la visite du directeur du Palais des Beaux-Arts, qui nous a montré dans son copie de lettres, deux lettres adressées à la municipalité de Nancy où on lit les passages suivants :

« Écho (Belgique), 10 juin.

Mme Blanche de Paunac, la mystérieuse, qui étonne le public dans sa transmission de la pensée et qui est vraiment déconcertante et un intermède de vues cinématographiques que complète le spectacle. »

« Lille, 6 septembre 1910.

Le Palais des Beaux-Arts est un établissement des plus luxueux, et des plus confortables. Éclairage merveilleux. Son métrage est de 31 mètres de façade sur 9 mètres de profondeur.

Intermède par le merveilleux cinématographe perfectionné présentant les grandes actualités. »

On ferme des baraques

Deux baraques ont été fermées sur le champ de foire. Le Chat noir et le Luna-Park. L'un montrait des « vues » comme en proposent les marchands de cartes transparentes ; l'autre consistait en un simple jeu d'adresse où, moyennant dix centimes, vous lancez une demi-douzaine d'anneaux sur les objets exposés, confiseries, statuettes, réveille-matin, vases artistiques, etc.. Cette double mesure a causé une assez vive émotion. Des forains ont protesté :

— La municipalité va trop loin... Elle empêche les modestes « entresorts » des femmes colosses ; elle est offusquée par les boniments des baraques... C'est tout juste si les lutteurs trouvent grâce devant elle... Le tapage des orchestres, l'odeur des ménageries, les fanfares des manèges l'indisposent... Voilà maintenant quelle interdit au nom de la morale outragée les jeux d'anneaux comme elle a chassé les loteries de sucre... Ce n'est plus tenable... Nous ne subissons à Nancy ces tracasseries administratives...

*

*  *

Nous avons fait une brève enquête. Le Chat Noir a disparu. Il a plié bagages. Ses stéréoscopes amusent les foules sous un ciel lointain. Impossible, donc, de savoir, si ses vues étaient de nature à provoquer le scandale.

Reste le Luna-Park, installé sous les arbres du cours Léopold.

Son propriétaire M. Jeanson, se plaint qu'un inspecteur du service des mœurs, ait invité sa femme à se présenter au commissariat central :

— Elle y est… Elle apprit ainsi que M. Rougieux, conseiller municipal, avait déposé contre nous une plainte… Quel mal faisions-nous ?

M. Jeanson rédigea la lettre d'excuses qu'on lui demandait. Le lendemain, son établissement était fermé, en raison des propos indécents tenus en public :

— Tous les soirs un de police ou deux se tenaient à proximité de mon « métier », dit-il... Jamais je n'ai reçu d'eux la moindre observation…

*

*  *

Nous avons interviewé deux adjoints pour recueillir leur impression à se sujet.

M. l'adjoint François connaît l'affaire :

— Il y a peut-être un brin d'exagération, dit-il… La police a durement sévi. Fallait-il se montrer indulgent ou employer la manière forte ? Je penche vers l'indulgence... Mais voyez mon collègue adjoint Chrétien : il en sait là-dessus beaucoup plus long que moi.

M. l'adjoint Chrétien est partisan, au contraire, de la manière forte. Il ne badine pas avec la morale. Il estime que certains écarts de langage sont de nature, à compromettre les intérêts des forains eux-mêmes et qu'en fermant les établissements suspects il a voulu préserver aussi les chastes oreilles du public :

— Sous prétexte d'offrir des vues originales, dit-il, des industriels sans vergogne exhibaient dans leurs pseudos-panoramas des spectacles à faire rougir un singe. A la moindre alerte, les tableaux étaient subrepticement changés et la police était trompée par la substitution de scènes n'ayant en effet rien de choquant... Nous ne voulons point de ces malpropretés qui tueraient la pudeur dans les yeux des enfants. Le Chat Noir se distinguait dans le genre scatologique. Nous avons fermé le Chat-Noir... »

Nous convenons que, sans posséder de baccalauréat, quelques forains vont jusqu'à la licence :

— C'était le cas du Luna-Park, déclare M. le docteur Chrétien… Rien de plus innocent que le lancement d'anneaux en bois sur les objets attribués comme prix aux joueurs adroits… Mais les tenanciers attiraient la clientèle et la rétanaient à leur étalage par des grivoiseries. La mesure a été dépassée. Nous avons été saisis de plusieurs plaintes. La police a sévi. Nous avons fermé le Luna-Park.

Mais l'indulgence a fini par l'emporter sur la manière forte. A tous pêchés, miséricorde. On s'est persuadé que deux ou trois plaisanteries un peu grosses ne méritaient ni la hart, ni la roue, ni même un arrêté de fermeture inexorable et sans appel.

Le Luna-Park, hier soir, est redevenu le joyeux rendez-vous des amateurs qui exercent leur habilité et qui lui feront vite rattraper le temps perdu… et ses recettes.



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